LA GAZETTE DE L'A.R.B
Anyvonne Restaurant Bar
 
Afrique orientale - Le journal de bord
N°33- Mai 2008

 


 

Madagascar, ce n'est qu'un au revoir...

 

Et voilà… En cette fin septembre 2008, la décision vient de se prendre… Déjà quelques temps que ça marinait, mais... Au mois de juillet nous avons fait une petite promenade à l'intérieur de la grande île et ça nous a tellement emballés que c'est progressivement devenu évident:

"Nous ne passerons pas le cap de Bonne Espérance cette année!"

Madagascar nous plait trop! Et le continent africain qui est là… tout près… Que nous passerions sans rien en voir? Sans presque descendre de bateau??
C'est décidé: nous resterons une saison de plus dans la région!
L'année qui vient sera donc partagée entre l'Afrique continentale où nous irons passer la saison des cyclones, et la grande île où nous reviendrons au mois de mai prochain, quand le temps se sera calmé.

L'Afrique continentale? Ca veut dire le Kenya, où nous savons pouvoir trouver à Kilifi un chantier pour caréner Getaway, puis la Tanzanie sur la route de retour vers Nosy Be. Ça veut dire aussi des espaces immenses où nous espérons bien avoir l'occasion d'apercevoir quelques grosses bêtes et nous faire ainsi des souvenirs de "Tartarins" africains…


Demandez le programme

Nous n'avons rien préparé pour ce voyage et n'avons que très peu de documentation sur les pays que nous allons visiter; seulement les conseils d'Alain et Zakia qui y ont passé pas mal de temps il y a quelques années…
Comme pour ce genre de projet, la météo et le bateau imposent prioritairement leurs rythmes, c'est avec l'aide d'un guide nautique de la région que nous fixons quelques éléments de planification pour ce nouveau périple:

-Traverser directement depuis Nosy Be vers le Kenya, dès le mois d'octobre, en profitant de la fin de la mousson de Sud Est pour naviguer vent arrière.

-Atterrir à Lamu, tout au nord du pays, mais tout de même à distance de sécurité des pirates des côtes de Somalie…

-Descendre vers Kilifi, juste au Nord de Mombasa, pour y sortir et caréner Getaway.

-Profiter de la sécurité du chantier pour y laisser le bateau pendant que nous irons passer quelques semaines en France afin de faire connaissance avec le premier petit fils de Gérard, qui doit arriver vers Noël.

-A notre retour d'Europe, début Février, profiter de la mousson de Nord qui souffle sur la région jusque mi mars, pour redescendre vers le sud et laTanzanie. En deux mois de cabotage nous pourrions ainsi atteindre fin mars la baie de Mtwara, à la frontière avec le Mozambique, avant le retournement des vents et le début de la saison des pluies.

-Attendre à Mtwara que la saison des cyclones nous semble terminée sur l'océan Indien - sans doute fin avril – puis traverser le canal de Mozambique vers Nosy Be, avec une escale à Mayotte.

Au mois de mai prochain, nous arriverons ainsi au même endroit et à la même période que cette année. Avec le même programme de voyage devant nous.
Juste une année plus tard...


Agitation de mouchoirs sur le quai de la gare…

Forts de cette planification brillante et après avoir fait le plein des choses qui risquent de nous manquer en Afrique (conserves et chocolat français, pâtes italiennes, vin sud-africain, riz malgache parfumé - dont Zakia nous a appris qu'on le reconnaît, au marché, au nombre de guêpes qui tournent autour - rhum de Nosy Be…), nous allons mouiller une dernière fois à Nosy Faly pour arroser avec Alain et Zakia, sur "Tchokdi", la perspective de nos prochaines retrouvailles de l'an prochain.

De leur côté, nos copains doivent bientôt prendre l’avion pour aller retrouver "Siloe", leur deuxième bateau resté en Malaisie. Ils projettent de le faire traverser jusqu'à Bornéo pour l'y abandonner pendant la saison des pluies, avant de revenir par avion à Nosy Be, retrouver "Tchokdi", en mai 2008…

Apéro-mouchoirs-émotions… Et nous voilà partis!!!


Encore une petite nuit Mr le bourreau...

Enfin presque partis...
Parce que sur notre route il y a Nosy Mitsio, où nous pourrions faire encore une dernière escale solitaire, avant de nous élancer vers le large… Ceux qui suivent (et lisent tout bien) se souviendront que nous y avons passé notre première nuit malgache, en mai 2007, en arrivant des Seychelles… Ce sera donc un mouillage "pèlerinage"…

Arrivés aux Mitsio en fin d'après midi, nous mouillons juste avant le coucher du soleil, bien au milieu de la baie, à l'écart des récifs qui en bordent les rives. Un bateau américain est déjà ancré à quelques encablures à notre sud.

Vers 19 heures la nuit noire est tombée mais cela n'empêche pas un dernier bateau d'arriver au mouillage. Nous le distinguons à son feu de route, qu'il oubliera d'ailleurs d'éteindre quand il s'immobilisera, un peu à notre Nord…

Sur Getaway c'est repos jusqu'à demain soir : Nous profiterons alors de l'accalmie du baratras (d'Ouest, souvenez vous) et aurons même peut être droit, en début de nuit, à un peu de Talio (d'Est) pour nous éloigner de l'abri des côtes malgaches. (Ceci était une révision des notions déjà abordées dans le précédent numéro!)
Cette nuit le Talio se lève à l'est, comme prévu, et le mouillage reste calme.


Les conséquences lourdes d'une petite erreur d'appréciation…

Au matin, coup d'œil circulaire habituel depuis le capot de descente. Une anomalie dans le paysage accroche immédiatement l'attention: le bateau arrivé après nous hier soir est actuellement haut perché sur le récif. L'eau de la marée basse clapote un bon mètre plus bas et sa situation parait bien précaire!

Notre voisin américain, qui est un lève tôt, est déjà allé aux nouvelles: Le malheureux échoué est un catamaran de location, dont le skipper a trop serré la côte en arrivant… Accroché par un caillou à marée basse, il n'a pu mouiller et le vent l'a repoussé sur le platier jusqu'à la limite de la marée haute. Puis la mer s'est retirée en l'abandonnant au sec.

La nuit a dû être longue et difficile sur ce bateau!
D'ailleurs, au matin, ses locataires occupants n'ont qu'une idée en tête: regagner Nosy Be au plus tôt, par le plus court chemin possible. Recueillis par le bateau américain, ils ont abandonné sans vergogne leur embarcation et son skipper (qu’il se débrouille il est payé pour ça!) pour se réfugier sur un bateau qui flotte…

Après nous être concertés avec le voisin américain, nous allons ensemble jeter un œil sur le cata échoué.
Il n'y a personne à bord à notre arrivée.
Traîné jusque là, de rocher en rocher, par le vent et la marée, le bateau a laissé la trace blanche de ses souffrances tout le long de son trajet sur le platier. Il repose maintenant dans une sorte de dépression de corail qui se remplira à marée haute.
Inspection rapide: Le joint de la transmission bâbord a été arraché et l'eau a envahi le compartiment moteur. C'est apparemment la seule voie d'eau et sur tribord tout parait étanche.


Un renflouement en Sakalava…

On voit alors revenir le skipper malgache, accompagné du chef du village situé au sud, au fond de la baie.
Conciliabule en mauvais anglais mêlé d'un peu de français, pour convenir d'une tentative de remise à flot à la prochaine marée haute. L'objectif est d'aller échouer le bateau à un mille de là, en haut de la plage juste à côté du village, où il pourra être réparé.
Le chef promet de revenir à la pleine mer, avec tous les hommes disponibles, pour aider à sortir le bateau de son piège de corail.

En attendant, le skipper entreprend d'étancher la voie d'eau du moteur bâbord avec des plastiques et des chiffons, histoire d'éviter de remplir trop vite la coque correspondante et de couler quand la mer reviendra. Pendant ce temps, nous cherchons une solution pour déhaler l'épave vers le large quand elle flottera à nouveau, afin d'éviter que le vent, qui portera à terre, ne la maintienne au sec.
Nous n'envisageons pas d'aventurer Getaway au ras du corail pour tenter le remorquage. Il n'est pas assez manoeuvrant et ce n'est pas la peine d’échouer un deuxième bateau! On préfère aller mouiller une ancre au large du platier. Bien coincée derrière une tête de corail et amarrée à un winch, elle permettra de déhaler le catamaran.
Le bateau américain choisit l'option remorquage et, le moment venu, s'approchera du platier pour se faire passer une aussière. Malheureusement le cordage se prendra immédiatement dans son hélice, il devra mouiller en catastrophe et restera immobilisé jusqu'à la fin du "sauvetage"…

Pendant ce temps la mer remonte doucement et le catamaran commence à flotter entre les têtes de corail…

Tous les hommes du village sont maintenant autour du bateau, dans l'eau jusqu'aux épaules, poussant ici, tirant là (sans beaucoup de coordination), ils essaient de le faire sauter les obstacles. Pas mal d'excitation tout autour… Ça crie fort en sakalava… Ça rit aussi… C’est la fête…
Le moteur intact du catamaran est mis en marche et ronronne au ralenti, en attente du moment où on pourra l'embrayer et le mettre à contribution pour fuir le platier.
Gérard est arc-bouté sur un winch, aidant à déhaler l'épave sur l’ancre qu'on a préparée et qui tient bon.
Anyvonne tourne à proximité dans l'annexe, fort agitée par le clapot, en attente de pouvoir récupérer ancre et aussières quand le catamaran sera manoeuvrant.
Toutes ces forces conjuguées finissent par remettre le bateau à flot, jusqu'à pouvoir embrayer son moteur et le rendre manoeuvrant.

Ca flotte et c'est parti vers la plage.
Emotion!!!

C'est alors que nous l'abandonnons pour récupérer nos apparaux de mouillage et rentrer sur Getaway y préparer le départ. Il faut même se dépêcher car l'après midi s'avance et on doit encore désarmer l'annexe, installer le régulateur d'allure, assurer à l'intérieur tout ce qui risque de valdinguer en cas de chahut… Tout ça avant que la nuit ne tombe sur la baie.
Après seulement, nous pourrons lever l'ancre.


Une traversée rapide et sans histoire.

C'est finalement après pas mal d'agitation qu'à la nuit tombée, ce mardi 9 octobre, nous quittons le mouillage des Mitsio, cap au Nord-Ouest, vers le Kenya qui se tapit à 800 milles derrière l'horizon.

Si vous êtes familiarisés avec nos unités de planification, vous en conclurez que nous prévoyons une traversée sans escale, qui devrait durer un peu moins de 8 jours. Sans escale, effectivement. Nous ne prévoyons pas de nous arrêter aux deux ou trois occasions d'escale qui se présenteront le long du premier tiers de notre route: les îles Glorieuses, Assumption et Aldabran.
Nous n'aimons pas énormément ces nuits hachées et écourtées par les nécessités de la veille lors des traversées, mais au bout de deux ou trois jours le rythme est pris et la corvée devient moins pénible. Après une nuit d'escale, tout est à refaire… C'est donc à cause d’une histoire de rythme de sommeil que nous mettons en route pour une semaine de navigation sans escale… Les exigences des corps…

Les deux cents premiers milles sont parcourus tambour battant, poussés que nous sommes par des alizés qui soufflent parfois à près de 30 nœuds, entre vent arrière et grand largue tribord amure… Nous serons même conduits à prendre deux ris à la GV.
Entre mercredi et jeudi, nous parcourrons ainsi 172 milles en 24 heures. Ce n'est pas un record, mais c'est notable pour Getaway!

Les milles suivants seront plus calmes mais, courant équatorial aidant, nous abattrons quand même régulièrement plus de 130 milles par jour. Jusqu'au dimanche matin quand le vent tombera et que la mer ne s'en apercevra pas tout de suite… Ce seront alors roulis, voiles qui claquent, bôme qui voyage d'un bord sur l'autre… Jusqu'à ce qu'excédés, on amène les voiles pour progresser au moteur pendant toute une longue journée et arriver enfin en Afrique...

 

Premières émotions africaines



Les côtes africaines se découvrent

Tôt le lundi matin, nous arrivons en vue des côtes africaines.

Enfin quand on dit en vue… Le GPS nous situe à moins de quatre milles de l'entrée de la baie de Lamu et justement: nous ne voyons toujours rien! Pourtant la visibilité est bonne et il n'y a aucune brume… Simplement, la côte doit être basse et n'est pas visible! Ni à l'œil nu, ni aux jumelles, ni au radar!!!
Dans ces moments là on doute… et la tension monte vite sur Getaway…
Le capitaine saute comme un cabri, du cockpit à la table à carte, au sondeur, aux jumelles… Jusqu'à ce que:
" Non"…
" Mais si! Là bas, sur tribord, une tache blanche… "
" Une falaise blanche, une dune?"
" Enfin quelque chose qui n'est pas de l'eau, quoi!"

Relèvement, vérification sur la carte… Ce doit être l'île qui borde le nord de la baie de Lamu. Comme nous dérivons d'une bonne vingtaine de degrés, poussés vers le nord par un fort courant, nous avons une perception biaisée d'autant de notre environnement: nous avons l'impression de laisser cette tache largement sur notre tribord alors qu’en fait nous allons droit dessus! Ce n'est même pas dans cette direction précise que nous cherchions la terre!
En tous cas, nous sommes sur la bonne route… même si nous marchons en crabe.

Les eaux de la baie de Lamu sont peu profondes et des bancs de sable y découvrent largement… Le chenal qui permet de passer entre eux est marqué par un alignement, mais la profondeur à marée basse n'y est que de 3 à 4mètres. Le passage est étroit aussi et les lames déferlent à quelques encablures… Brrr…
Enfin, l'alignement est visible, très net, la carte se révèle juste et la sérénité revient à bord.

On peut alors se détendre pour admirer calmement les dunes qui se profilent maintenant clairement au fond de la baie, derrière un curieux fort arabe qui se dresse sur la plage. On voit défiler l'hôtel et les quelques résidences de luxe construites sur la rive au nord de Shela.
On découvre enfin la ville de Lamu. Elle se présente comme un front de mer de maisons blanches, avec tourelles et balcons, dont les murs cachent certainement des patios frais et ombragés. Derrière, se détachent les toits de quelques anciens palais et bâtiments fortifiés, ainsi que de nombreux minarets.

Nous mouillons devant la ville, ce lundi 15 octobre un peu après midi. A peine plus de cinq jours et demi pour parcourir 810 milles. Presque 150 milles par jour… C'est bien pour Getaway… Pour nous aussi d'ailleurs!

Jambo Lamu

"Jambo" (prononcer Djambô), c'est comme ça qu'on dit "salut" en Swahili, la langue des peuples de la côte de l'Afrique de l'Est.

Lamu désigne un archipel, une île et une ville…
C'est sans doute l'endroit du Kenya où s'est le mieux préservée la culture swahili, mélange d'influences africaines, indiennes et surtout arabes.
Dès le 9eme siècle Lamu était, avec l'île de Pate située quelques milles plus au nord, un terminal important du commerce maritime entre l'Afrique et l'Asie. C'était alors un port à boutres très vivant, où s'échangeaient carapaces de tortues, bois de mangrove et esclaves, contre les trésors de l'Arabie, la Perse et l'Inde. Les boutres arrivaient d'Asie, entre novembre et mars, poussés par la mousson de nord. Les marchands attendaient là, jusqu' au mois de juin, que s'installe la mousson de sud- est, pour repartir dans l'autre sens, chargés de marchandises africaines… Ou parfois prenaient femme, ouvraient un commerce et s'installaient…

C'est ainsi que s'est développée cette ville toute blanche, à l'architecture et l'urbanisme arabes, qui compte plus de 40 mosquées et où quasiment toutes les femmes se promènent totalement voilées de noir. (Bien plus impressionnantes que Belphégor, dans le feuilleton télévisé de mon adolescence…). La tradition islamique de Lamu, architecturale et culturelle, remonte au 14ème siècle. Le déclin de son activité commerciale viendra au 19ème siècle avec la fin de l'esclavage et l'essor des bateaux à vapeur qui, ne pouvant pas aborder ici, préfèreront Mombasa.

A notre arrivée, nous mouillons au milieu d'une sorte de bras de rivière, juste devant la "zone portuaire" de la ville. Vues de plus près, les constructions qui bordent le quai n'apparaissent pas aussi blanches, ni en si bon état. Quelques unes sont même plutôt décrépites… Les plus belles ont été restaurées pour devenir des hôtels à touristes.
Deux jetées délabrées qui s'avancent sur l'eau témoignent d'une activité maritime. Elles encadrent un joli bâtiment en construction, de style "traditionnel", avec rotonde et colonnades, peint d'un blanc éclatant qui détonne dans l'environnement "abîmé"… C'est le futur siège de l'administration qui nous intéresse aujourd'hui: la Kenya Port Authority (KPA).

Car il faut penser aux formalités d'entrée dans le pays…
Gérard part en reconnaissance en annexe pour satisfaire à ces obligations. Pas encore débarqué, il est déjà pris en charge par deux jeunes garçons qui s'improvisent guides et lui indiquent le chemin des bureaux idoines.
Ici, de manière assez inhabituelle, les fonctionnaires des douanes, de la santé et du port souhaitent visiter Getaway. Il faudra donc les y amener en annexe par paquets de deux…
Ça fera quand même trois allers retours, mais en fin d'après midi tout sera terminé et nous serons en règle pour penser à l'apéro…



Premiers pas africains.

Le lendemain tout l'équipage débarque pour une petite visite de la ville.

A peine a-t-on posé un pied à terre, qu'on est sollicités par un gardien d'annexe (Incontournable… Et surtout utile pour qu'il ne soit pas lui même le chapardeur!) puis par un jeune "guide" qui veut nous faire découvrir sa ville.

Premier arrêt au bureau de l'immigration où l'officier souhaitait prendre une photo du second qui ne s'était pas présenté aux formalités d'hier. Il en profite pour poser quelques questions en Swahili à notre "guide" et nous fait signe que tout va bien, que celui ci est OK et qu'on peut y aller…
Nous découvrirons ainsi que les autorités kenyanes surveillent de près l'accompagnement des touristes par des autochtones. Pour éviter les embuscades et les agressions… Peut être aussi pour assurer la collecte des impôts… D'une manière générale, les "vrais" guides sont organisés en compagnie et portent un badge distinctif, tandis que les "pseudo guides", plus ou moins clandestins, sont en principe écartés des touristes. Le notre n'a pas de badge… mais bon… tout va bien quand même et il peut continuer à diriger notre promenade.

Nous le suivons à travers les faubourgs de la ville…
Maisons en végétaux ou en corail, quelquefois entourées de belles palmeraies. C'est pauvre comme attendu, mais ça pourrait être joli si ça n'était envahi par des tas de déchets et surtout de vieux plastiques. L'agglomération qui connaît actuellement un fort taux d'expansion, héberge quantité de chantiers de construction de maisons en pierres de corail… Autour de ceux-ci, des tas de gravats, oubliés là, attirent naturellement les déchets domestiques… Des ferrailles, des cartons, des plastiques,... Partout… Il semblerait qu'on ramasse rarement et qu'on ne brûle rien spontanément par ici.



Une cité sans voiture!!!

On revient ensuite vers le centre, en passant devant quelques belles et antiques mosquées.
En ville, les rues sont très étroites (de l'ordre de deux mètres de large), ombragées et bordées de vieilles maisons dont certaines sont joliment restaurées et entretenues.
La plupart arborent des portes à caissons sculptées, monumentales, desquelles dépassent de grosses pointes d'acier... Pourquoi ces énormes clous aux pointes dirigées vers l'extérieur? Pour dissuader les éléphants de défoncer les portes et d'entrer dans la maison! (C'est une pratique qui vient des Indes), Pourtant les éléphants ne courent pas les rues par ici!

Une caractéristique importante de Lamu, c'est l'absence totale de voiture... La largeur des rues ne permet aucune circulation automobile et seuls les ânes assurent les transports… C'est plaisant et beaucoup moins bruyant, même si les traces au sol sont plus emm… Le nettoyage de la voirie ne semble pas être la priorité des édiles et les crottes des toutous urbains français paraissent, vues d'ici, des nuisances extrêmement discrètes.

"En tout cas les hommes n'ont visiblement pas le temps de nettoyer… Beaucoup trop occupés à palabrer sous les arbres de la grand place... Il y a quand même un sacré boulot à refaire le monde tous les jours avec les copains" (c'était la minute féministe du second…).

C'est vrai que la place principale de la ville, agréablement ombragée, est entièrement occupée, du matin au soir, par des groupes d'hommes qui discutent. Debout, accroupis, assis sur des tabourets, ils semblent passer là le plus clair de leur temps. Aucune femme parmi eux. Les seules qu'on aperçoive semblent quelques furtifs fantômes noirs qui traversent la place d'un pas rapide, vaquant à leurs occupations…

Tout proche de la place, on découvre le marché des produits frais.
On y trouve tout ce qu'il faut en fruits et légumes. Le quartier de la viande offre du bœuf et de la chèvre d'aspect convenable. Celui du poisson, annoncé de loin par ses odeurs, ne nous attire pas trop…

Scène de la vie politique Kenyane.


Alors que nous sommes installés, début novembre, à une terrasse sur le quai du port de Lamu, on entend sur notre droite, une rumeur qui enfle et se rapproche…
C'est une sorte de cortège avec discours, slogans et musique, qui longe le quai et s'arrête juste devant le café où nous sommes attablés.
On comprend rapidement qu'il est bloqué par un autre groupe qui arrive de la gauche, discourant lui aussi et arborant des banderoles orange.
Ca s'interpelle très fort d'un groupe à l'autre, ça gesticule beaucoup entre les deux…
Nous assistons à une manifestation de la campagne précédant des élections qui auront lieu fin décembre. Le parti "orange" est opposé au parti de l'actuel président Kibaki.

Pourquoi se sont ils affrontés pile devant notre terrasse? Parce que le siège du parti "orange" est situé juste à notre gauche et que ses partisans ont décidé de ne pas laisser passer le groupe adverse sur "leur territoire". Beaucoup de bruit et de fureur, mais ça finit par se calmer et chacun retourne dans son quartier.

On était en France quand ces élections se sont déroulées, et chacun sait maintenant que la suite s'est plutôt mal passée. Ce ne fut tout de même pas la guerre civile généralisée que laissaient entrevoir les informations diffusées par les médias occidentaux. Ces mêmes informations qui inquiétaient nos proches au moment de notre retour vers le Kenya début février.
Bien sûr il y a eu des troubles, des émeutes et de nombreuses victimes, mais ils étaient circonscrits sur des territoires limités: Nairobi, sa région et la vallée du Rift… Ailleurs, les choses étaient plus "normales"… Quelques matatus brûlés à Mombasa…
Un peu comme chez nous quand les banlieues des grandes villes flambent mais n'affectent pas nécessairement la Bretagne ni l'autoroute pour s'y rendre…

Bien sûr, ici, la violence sur les humains n'est pas aussi contenue que chez nous; mais à notre retour, nous avons retrouvé Mombasa et Kilifi plutôt calmes et avons même pu effectuer un safari très tranquille dans les parcs dès fin février.

Mais aujourd'hui on fait les touristes, et on finit la promenade sur le quai, à la terrasse ombragée d'un bistrot... Eh oui, c'est un avantage appréciable des sites touristiques: même en Afrique, on y trouve des bistrots à terrasse couverte!

A nos pieds se joue le spectacle du port. Ça s'affaire dur au débarquement des navettes et des boutres qui viennent s'aligner le long du quai. Entre deux calfatages, sur la plage, les boutres transportent tout ici…. L'archipel ne vit que par les bateaux.

"Lamu est un peu le comble de l'insularité ballottée par des courants contraires : ruelles étriquées et horizons évasés, mentalité de clocher et mémoire du grand large…" écrit Christelle Dedebant dans un article de Géo d'octobre 2007. On ne saurait mieux dire…

On profite de cette terrasse confortable pour déjeuner au "milieu" de quelques touristes occidentaux et riches kényans.
Parmi la foule qui déambule devant nous sur le quai, qui voit-on soudain passer? Au petit trot de son âne, avec un gamin sur la croupe? Notre gardien d'annexe! En nous apercevant, après un mouvement de surprise, il nous fait un grand sourire "akuna matata"(tout va bien) "je ramène mon petit frère à la maison"… Ben voyons! Notre annexe est bien gardée!!! Aurait il soustraité sa charge?


Shela, l'annexe touristique de Lamu.

Pour fuir cet enfer urbain et retrouver le calme des mouillages bucoliques, on se déplace d'un bon mille vers l'aval, jusqu'à Shela.
C'est une jolie bourgade qui s'est développée le long de la plage, à deux milles au sud de Lamu. Au terme d'une navigation aventureuse (il n'y a pas beaucoup de fond et le chenal n'est pas balisé) on mouille un peu à l'écart du village, au milieu de quelques boutres et de deux ou trois vedettes.

Shela est installée à flanc de colline et ses ruelles étroites, escarpées, tortueuses et ombragées sont agréables à parcourir. Elles sont bordées de grandes maisons quelquefois neuves, souvent retapées et toujours bien entretenues… La voirie est "convenablement" nettoyée… On y trouve encore de petites épiceries, mais quelques boutiques de luxe pour touristes (vêtements originaux et bijoux africains, très chers…) commencent à s'installer.
Pas de doute, le niveau de vie s'élève par ici…

Au sud du village, une immense plage borde la baie de Lamu, quasiment vide et vierge… A peine un ou deux couples de corps occidentaux qui y cuisent, étalés sur le sable.
C'est tout de même suffisant pour qu'on y croise aussi deux "vrais" Masaïs qui vendent de vrai- faux bijoux ethniques aux touristes. Cette rencontre vaut le coup, ne serait ce que pour les voir de près. Pas les bijoux, les "guerriers"!!! Hiératiques, minces, élégamment drapés de leurs couvertures rouges ou mauves… Absolument magnifiques… (Le second en est toute émue)… Et leurs bijoux ne sont pas plus moches qu’à l'entrée des réserves à safari…

En face de notre mouillage, l'hôtel restaurant "Stop Over" nous accueillera souvent pour déjeuner et… faire laver notre linge…
Son aménagement est typique du coin: juste une grande salle carrelée, ouverte à tous les vents de la baie, où sont disposées quelques tables massives en bois. C'est fort agréable et les crevettes sauce swahili y sont très bonnes…
Confortablement assis pour déjeuner on profite, à marée haute, du spectacle du déchargement des boutres, à dos d'homme et à la chaîne, dans l'eau jusqu'à la poitrine… Sable, eau potable, sacs de ciment… Surtout des matériaux de construction.

Le bâtiment va fort par ici en ce moment et le tourisme occidental de luxe semble en pleine expansion, bien que ce village soit encore très calme et "authentique"… On comprendra plus tard, quand un courriel nous apprendra qu'on est arrivé, par inadvertance, dans un lieu très "tendance" pour la "jet set" européenne. Une des princesses de Monaco y aurait acheté une propriété et toutes ses copines seraient en train de la suivre… Pour des vacances d'hiver en famille sous l'œil de "Paris Match, Voici, Voila, Voilaire"…
Mince alors, on ne s'attendait pas à celle là...

Visiblement les habitants d'ici n'ont pas accès à notre littérature people sur les têtes couronnées (les pôvres!) et la proximité de ces célébrités ne parait leur fait ni chaud ni froid. Il faut dire que les seuls à en tirer profit sont les hôteliers et leurs barmen qu'ils paient 140 euros par mois (quand même! une fortune ici!) Les seuls touristes qui vont vraiment rapporter au petit commerce seront ceux qui viendront VOIR les têtes couronnées. C'est sûrement pour bientôt…

L'avenir de Shela se lirait il dans l'histoire de St Tropez???

P ourtant, en ce mois de novembre 2008, les touristes sont encore discrets. Seuls quelques familles Sud Africaines et jeunes backpackers anglo saxons déambulent dans les ruelles de Shela. On ne peut pas dire que ce soit surpeuplé… Renseignements pris, il semble que la saison démarre surtout en décembre, pour les fêtes de fin d'année. Nous n'en verrons rien car nous serons alors déjà arrivés plus au sud…


Cure de calme: Pate, à l'écart du circuit des visites.

Pour ne pas s'encroûter à Shela, on va faire un tour à Pate…
(Très mauvais humour, mais ça fait quand même plaisir, alors pourquoi résister ?…)

Pate est une île située au nord de la baie de Lamu. On y accède par une plaisante navigation d'une vingtaine de milles, vent arrière, à laquelle l'entrée de Manda bay, entre des platiers de corail, donne juste le piment nécessaire. On y retrouve la vraie tranquillité, mouillés sur sa côte ouest, à proximité d'un petit embarcadère bétonné vers lequel convergent les boutres de marchandises et passagers qui desservent l'île depuis Lamu ou le continent tout proche

A peine y débarque-t-on qu'on est "entrepris" par un jeune homme qui veut absolument nous faire visiter son village… Pourquoi pas?
Au bout d'un sentier d'un kilomètre, on découvre une agglomération de cases de bambou, terre et pierres de corail, ruelles ensablées bien balayées, gens souriants… On nous montre l'école (gratuite jusque 8 ans), la réserve d'eau pluviale… Les choses vraiment importantes quoi. On en profite pour y négocier l'achat de crabes et d'œufs… et on s'en revient vers Getaway.

Comme quand c'était avant…

La ville de Pate est située au Sud Est de l'île, à l'opposé de nous, sur la côte au vent.
Une bonne heure de "promenade", sur une piste poussiéreuse, nous amène devant une petite cité qui se cache derrière de beaux restes de fortifications. A l'entrée, nous sommes accueillis par un "notable" qui, à notre demande, nous guide vers un bar (le seul du village) pour y boire un café. Petit et crasseux, cet endroit ne doit pas voir de femmes très souvent .
Autour de l'unique grande table, des hommes sont assis à boire, manger et discuter… Ils se serrent pour nous faire de la place sur leur banc où nous nous installons. Pas de café, seulement du "thé" au lait fortement sucré… Tout ce qu'on aime… Mais enfin, on l'a voulu, on l'a…
É videmment, le swahili est la seule langue pratiquée en ces lieux et la communication - à part avec notre mentor cultivé qui se révèlera être le chef du village - est très limitée. Mais ça n'empêche pas la curiosité ni l'empathie...

Nous ferons ensuite le tour du village fortifié, accompagné par un guide diligenté par notre hôte: ruelles paisibles, étroites et vides, hauts murs de vieilles maisons, atmosphère étrange et silencieuse… On ne croise quasiment personne. La vie se déroule à l'intérieur des maisons où les femmes s'activent sans doute, qu'on ne voit nulle part ailleurs.


Se méfier de l'eau qui dort?

On lira plus tard dans un vieux Géo que c'est ici qu'aurait été "organisée" l'explosion du "Paradise hôtel" de Mombasa en 2002, et que depuis, une unité de "marines" patrouillerait dans le coin!
Brrr, nous étions donc chez les méchants à G W Bush…

Il est vrai qu'on n'est pas loin de la Somalie avec son agitation chronique et ses pirates très actifs, qui provoquent pas mal d'émigration vers le Kenya voisin.
Mais de tout ça, on n'a rien vu ni rien sentu…
Ah si quand même: Un groupe de femmes croisées à la sortie de Pate, souriantes, très fines, très belles..., dont on nous a dit qu'elles étaient des réfugiées somaliennes.


Quand même, on n'arrète pas le progrès!!!

Dans un champ proche du bateau, une activité de construction bizarre attire notre attention. On va se renseigner: Un petit bâtiment tout neuf abrite un désalinisateur et on est en train d'installer un pylône pour l'éolienne qui va l'alimenter. C'est une équipe italo-kenyane qui travaille là, sur un projet financé par l'Europe.

L'eau est un problème majeur ici, comme souvent en Afrique. Les norias de femmes transportant des bidons d'eau sur la tête, ne sont pas un spectacle folklorique, même si elles sont belles, mais une nécessité vitale.
Cette installation, qui doit être inaugurée la semaine suivante, est donc ici un événement très important.


Tristes tropiques?

Nous passerons trois semaines à musarder autour de Lamu, ce coin de paradis de carte postale.

Le problème c'est que les clichés de rêve ne témoignent pas des petits soucis inhérents à la nature humaine: en l'occurrence ce séjour a été gâté par une rage de dent monumentale du second… Avec joue doublée de volume et tout et tout…
Doses massives d'analgésiques, traitement plus que massif aux antibiotiques, sans résultat décisif…

Comme on nous a conseillé de ne rien faire soigner à l'hôpital de Lamu - Pas même son cheval - nous nous sommes décidés à remettre en route vers Kilifi, pas loin de Mombasa, pour se rapprocher de la "civilisation".

 

L'Afrique des travailleurs...


Les pièges de Kilifi.

Un jour et une nuit de navigation pour arriver devant "Kilifi creek".
L'entrée est encombrée de corail mais la visibilité est bonne et le chenal bien balisé par deux alignements successifs.
Pas de problème donc.

Enfin, pas de problème jusqu'à ce que nous atteignions la vraie difficulté du parcours: Avant d'accéder au chantier, il faut passer sous une ligne à haute tension qui traverse la rivière, à une centaine de mètre en aval d'un grand pont. Selon notre guide nautique, en son point le plus bas, la ligne surplombe l'eau d'une quinzaine de mètres à marée basse.
Pour disposer sous ces obstacles, du maximum de hauteur, on doit franchir la ligne électrique en serrant la rive de près, puis revenir vite au milieu de la rivière pour passer sous le pont… Ces précautions ne sont pas superflues pour Getaway qui promène ses feux de tête de mat à 17 mètres d'altitude.
C'est dire si on a intérêt à serrer les fesses et la rive de près!

A notre arrivée, c'est presque la mi marée montante…. On s'approche… On y va doucement, très doucement… Et puis Non!!! La trouille l'emporte et on recule. On essaiera demain matin à l'étale de marée basse…
En attendant on mouille en aval de l'obstacle.
Le chantier où nous prévoyons de sortir Getaway se trouve un mille en amont, juste de l'autre côté du pont. Nous y faisons un saut en annexe pour nous signaler et nous renseigner.
Selon les responsables du chantier, avec notre tirant d'air, on pourra passer facilement la ligne à marée basse, près de la rive sud. Ils enverront quelqu'un en annexe, à 9 heures demain matin, pour nous montrer le chemin.
D'accord comme ça.

Le lendemain 8 novembre à 9 heures, on est fin prêt et on attend nos guides…
Personne en vue…
Seulement un voilier suisse qui a passé la nuit près de nous et lève l'ancre pour passer bravement les obstacles.
É videmment, nous qu'on n'est pas des modèles de patience et qu'on vient de voir un bateau passer devant, on se dit:
" On n'est quand même pas plus bêtes qu'un suisse? On doit pouvoir y arriver tout seuls!"

Eh bien non on n'y est pas arrivés tout seuls… Honte à notre cocorico et vivent les suisses qui sont très forts! On le savait déjà mais on le confirme…
A l'approche de la ligne, on s'est donc bien approchés de la rive sud comme indiqué dans le guide. Le nez en l'air… Hypnotisés par la ligne électrique… Il faut savoir que depuis le pont du bateau, on n'a aucune idée de la marge de hauteur dont on dispose sous un tel obstacle et on est absolument surs que ça va accrocher. Et quand c'est plusieurs milliers de volts!
C'est donc avec nos quatre yeux rivés sur ces trois fils que nous nous approchons… Tétanisés par la pétoche…

Dans cette configuration d'alerte aérienne, personne n'a vu arriver sous l'eau, la superbe tête de corail qui fonçait sur nous …
Et BOUM TACATA! STOP! Ça a raclé fort sous Getaway…

Constat immédiat: la barre est bloquée!
On essaie de la débloquer en forçant un peu (enfin le "un PEU!" du skipper) mais zwipp! Elle passe en roue libre…
Maintenant, en plus, on vient sans doute de casser une drosse de barre!
La mierda totale!!!
Non seulement nous n'avons pas passé la ligne et n'avons plus de barre à roue, mais celle de secours ne sert à rien car les safrans sont fermement coincés dans une position où ils font tourner le bateau sur un cercle d'une trentaine de mètres de rayon… On mouille au milieu de la rivière, pour se donner le temps de réfléchir…

L'annexe du chantier arrive à 9h20, avec nos guides à qui on raconte nos malheurs.
Ils ne se marrent pas comme des bossus parce que ça ne se fait pas, mais ils se demandent bien pourquoi on ne les a pas attendus… « Ces Mzungus* sont vraiment bizarres et bien pressés ! »…
Enfin, on a pu passer les obstacles et terminer l'étape, en remorque de nos sauveteurs qui nous ont tirés sous la ligne et le pont, jusqu'à une bouée de mouillage du chantier.
Fin de l'épisode.

*Mzungu : C'est le nom donné aux blancs par les africains.

Bilan après inventaire: une mèche de safran tordue et une poulie de drosse arrachée...
La quantité de travaux à faire à Kilifi vient de doubler et le moral est dans les godasses.
En plus, le second a toujours sa chique douloureuse… Mauvaise passe!
Mais on est en Afrique et on n'a sans doute pas les bons "grigris"…

Allons visiter le chantier pour chercher un peu de consolation.

 


Le Kilifi Boatyard

La première impression est plutôt bonne.
Le décor est agréable: bar resto avec bière fraîche et terrasse sur la plage, bien aérée et ombragée par des cocotiers judicieusement disposés au milieu des parasols. Les locaux sanitaires sont propres et bien tenus. Les gens plutôt aimables… Une navette permanente permet de débarquer à toute heure depuis votre bateau au mouillage.

La partie hôtellerie du chantier se présente plutôt bien…
Avec la perspective d'y passer plus d'un mois au sec, c'est important pour le moral ces choses là…

Quelques voileux de passage nous renseignent sur les ressources du coin.
Pour aller faire des courses on a deux possibilités:
1- Le marché de Kilifi, à un kilomètre, de l'autre côté de la rivière, pour les produits locaux et frais.
2- Le super marché "Nakumat", sorte de "Carrefour" local, à une cinquantaine de kilomètres, (un peu avant Mombasa), pour les produits plus occidentaux.

Dans les deux cas, il faut d'abord traverser la rivière en utilisant la navette du chantier, puis rejoindre l'entrée du pont par un sentier qui escalade la rive.
Pour aller au bourg de Kilifi, il suffit de traverser la route et suivre le sentier sur un kilomètre, tout droit.
Pour aller à Mombasa, on se poste au bord de la route et on attend le passage d'un "matatu". C'est un minibus public équipé pour 14 personnes (il en transporte généralement 17) qui s'arrête où on veut et quand on veut. Il n'y a pas d'horaire car il part du centre de Kilifi quand il est plein ou presque, mais la fréquence est telle qu'on attend rarement plus de cinq minutes à l'entrée du pont… Une heure plus tard, pour 100 shillings, on est déposé devant le centre commercial Nakumat.
Très pratique, vraiment.

La première fois que nous nous aventurerons à Nakumat ce sera pour consulter un dentiste, installé dans la galerie marchande, qui nous a été chaudement recommandé par un collègue français...
Rendez vous pris, la dent fautive sera très bien soignée et le second super soulagé…


L'opération safran.

Pour que le capitaine soit soulagé aussi, il ne reste plus qu'à trouver un chirurgien es mèches qui puisse redresser celle du safran. Assisté et conseillé par le patron du chantier, Gérard se démène, parcourt en tout sens le quartier industriel de Mombasa, téléphone, supplie, harcèle… Et ça finit par venir…

Il aura fallu ouvrir le safran pour démonter et redresser la mèche,
couper dans la tôle et ressouder beaucoup,
copier en inox l'embase en aluminium de la poulie de drosse,
revoir la barre d'accouplement,
usiner de nouveaux paliers en nylon…

Mais enfin, à Mombasa, tout finit par être prêt pour être remonté.
Mais… Mais… Encore faut il rapporter tout ça à Kilifi! Le pick-up du chantier qui assure le transport, est parti en révision et ne revient pas.
Un jour, deux jours, trois jours… Le cap'tain bout…
Il ne reste plus qu'une semaine avant de rentrer en France et il voudrait bien remonter les safrans et le système de barre , histoire de vérifier que tout va bien et qu'il n'y a plus de surprise à attendre...

Trêve de suspense: on y arrivera. Les safrans seront peindus, remontés, réglés, redémontés, re-réglés… Dans la joie et (la bonne ?) humeur… Avant de prendre l'avion… Nous aurons même eu le temps de faire aussi quelques retouches de peinture, après traitement des points de rouille du pont et de la coque.
L'objectif est atteint: à notre retour, il ne restera plus que l'antifouling à faire avant de remettre à l'eau.


Pendant les travaux, à bord la vie continue!

On ne dira pas que l'organisation quotidienne était si simple (elle ne l'est jamais quand Getaway est au sec et qu'il faut y accéder par une échelle plus ou moins branlante) mais on a vu pire… C'était même très convenable car le bateau était bien ventilé. On se souvient de chantiers style "four à chaleur tournante", avec en plus des toilettes immondes et pas d'endroit pour se détendre... De ce côté là on a été gâtés ici. Tous les midis on était soignés et bien nourris par Japhed, Johnson, Amina et Myriam, l'équipe du bar et de la cuisine. Chaleureuse, joyeuse, accueillante… Ils ont beaucoup fait pour notre moral et on était tout tristes de les laisser quand on a quitté le chantier.

Lors d'une de ces séances de détente, nous avons été abordés au bar du chantier par un couple installé à Kilifi:
Beat est Suisse, Yvette est d'origine zaïroise et tous les deux sont heureux de pouvoir parler français.
Baroudeurs à la recherche d'une activité lucrative, ils se sont spécialisés dans le traitement des opales d'Afrique…
Ils importent le matériau brut depuis le Congo et ont monté ici un petit atelier de taille et de polissage où ils produisent des pierres du plus bel effet. C'est pour nous une grande découverte! On n'en avait jamais vu: "un arc en ciel dans un caillou"!

Nous serons ainsi incités à quelques achats, mais entraînés aussi vers quelques rencontres inattendues:
Un retraité suisse recyclé dans la peinture moderne,
un couple de médecins allemands qui ont exercé plusieurs années dans les réserves Masaï…
Beaucoup d'européens viennent ici passer l'hiver de l'hémisphère nord; surtout des Italiens.

Leurs propriétés se succèdent le long de la côte, dont les somptueux jardins arborant fièrement quelques baobabs majestueux, descendent en pente douce vers la mer. Malgré leur prix exorbitant, les villas sont sans doute plus "rustiques" qu'en Europe, mais seules la terrasse ombragée et bien aérée, la piscine et la belle vue importent finalement.


La récré de fin d'année.

Début décembre, nous fermons notre atelier bricolage pour prendre un avion qui nous emmène vers les frimas européens.
Au programme:
Les fêtes de fin d'année en France…
Un nouveau petit fils…
Et beaucoup de projets de retrouvailles…

Ce sera un entracte de deux mois, de bonheur, de famille et d'amitié; avant de revenir sur Getaway le 1er février 2008.


La rentrée des vacances

Aussitôt revenus à Kilifi nous avons réouvert en grand notre atelier, et comme prévu, après carénage, peinture antifouling et quelques menues bricoles, nous avons pu remettre le bateau à l'eau au bout d'une petite semaine de travail…
Près à partir et Heureux!

Heureux? Pas si longtemps, en fait… En redescendant d'une visite en haut du mat, Gérard s'avise que les bas-haubans sont en train de casser… Ils ont chacun au moins 3 ou 4 brins rompus… Vu le trajet que nous avons à parcourir contre le vent dans les mois à venir, on ne peut pas se permettre de traiter ça par le mépris.

É videmment il n'y a rien au Kenya pour réparer et il va falloir passer par l'Europe.
Des contacts sont pris par courriel et téléphone, en France et en Angleterre. Échanges d'information, de prix, de délais…
Qui des français ou des anglais vont gagner? Ce seront les anglais! Eux savent facturer hors taxe et expédier par DHL pour presque deux fois moins cher…

Commande et paiement sont transmis; il n'y a plus qu'à attendre…
Jusqu'au 7 mars, au moins...
Non?
Eh si!
D'expérience, sous ces latitudes, on ne peut rien réparer qui implique l'envoi d'une pièce depuis l'Europe, en moins d'un mois. Quand tout se passe bien! Le temps de contacter un fournisseur, de s'entendre, de se comprendre, de payer, d'envoyer, de transporter, de dédouaner…

Pour prendre notre mal en patience et éviter d'attendre en se rongeant les sangs, nous décidons de profiter de ce délai inopportun pour aller faire un safari!!!
Avec les troubles que connaît le pays, nous avons bien hésité un peu mais selon nos informations, ça se passerait plutôt dans l'ouest du pays et autour de Nairobi. Ici, sur la côte est, tout est plutôt calme. Et si c'est calme à Kilifi, ça l'est sûrement encore plus dans la savane… Alors c'est décidé, nous irons visiter un parc voisin: Le Tsavo.

L'Afrique des safaris.


Notre safari à nous…

Pour l'organisation, on a fait très "local":
" Rasta Gigi" (copain de village de Japhed, le cuisinier du chantier), un chauffeur de taxi de Kilifi, fait le guide de safari, à l'occasion.
Il nous propose un voyage de trois jours pour visiter les parcs de Tsavo. 350 euros par tête tout compris nous parait un prix intéressant et ce n'est pas étranger à notre choix…
Pour le coup Gigi engage Sam, un chauffeur qui loue un minibus à une compagnie spécialisée...
Et c'est parti…

Le jour dit, on vient nous chercher au chantier dès six heures du matin.
Mais avant de quitter Kilifi, il faut encore changer en shilling kényans, le montant de notre paiement, que Gigi a exigé en euros. Et ce n'est pas une aussi mince affaire qu'on pourrait croire.
A cette heure matinale, on s'enfonce dans les ruelles désertes du bourg pour s'arrêter au pied d'une haute maison bourgeoise (en pierres!) genre forteresse… Tout est fermé, portail, portes et fenêtres…
Des coups de sifflets répétés éveillent enfin l'attention des occupants: on ne voit toujours personne mais une ficelle descend d'une ouverture à moucharabieh, tout là haut… Gigi y attache nos euros en un petit rouleau qui prend immédiatement son envol vers la fenêtre...
Attente…
Redescente enfin, au bout de la même ficelle, d'un paquet de shillings kenyan correspondant à 700 euros…
Et voilà: pas de frais bancaires, de commission, de taxes sur les devises… Pas de tracas et un taux de change sans doute très avantageux… .

Maintenant nous pouvons partir:
D'abord pour Mombasa où s'achètent les tickets d’entrées dans les parcs, puis sur la route de Nairobi jusqu'à l'entrée du parc de Tsavo Est, à Voï.

Anyvonne y achète un chapeau d'aventurière, attendrie par le discours d'un pauvre vendeur ambulant qui lui confie ne plus voir aucun touriste depuis les violences récentes… "Avec ces maudites élections, comment je nourris ma famille moi maintenant?"

Plantons le décor.

Le Tsavo est une grande plaine de savane située entre Nairobi et l'océan indien, irriguée par les eaux descendant des chaînes volcaniques qui longent la frontière Tanzanienne au sud. C'est un immense territoire de 21000 km2 - la taille d'Israël - où se croisent depuis toujours les grands courants migratoires humains et animaux de l'Afrique de l'est.
On y croise aussi le chemin de fer, construit au début du 20ème siècle entre Mombasa et le lac Victoria, par sa royale majesté. Les coolies indiens et les britanniques qui en étaient chargés ont payé un lourd tribut aux lions du coin, tout contents de trouver de la chair tendre et fraîche, d'accès aussi facile...

Le peuple Masaï

La silhouette du guerrier Masaï drapé de rouge, debout sur une jambe, appuyé sur son grand bâton et scrutant l'horizon de son troupeau est devenue le symbole international de l’Afrique de  l'Est .

" Il y avait cette démarche princière, paresseuse et cependant ailée, cette façon superbe de porter la tête et la lance et le morceau d'étoffe qui, jeté sur une épaule, drapait et dénudait le corps tout à la fois. Il y avait cette beauté… et surtout cette liberté orgueilleuse, absolue, indicible d'un peuple qui n'envie rien ni personne…"
(Joseph Kessel; Le Lion)

Cinquante ans plus tard, on ressent la même chose… Difficile de mieux dire!

Ce peuple originaire du Haut Nil, occupe les plaines sur 1200 kilomètres au sud de Nairobi, débordant largement jusqu'en Tanzanie.
Spoliés par les colons anglais en 1905, confinés dans des réserves par la colonisation, ils perdirent encore des territoires lors de la création des parcs et réserves en 1945.

Les Masaïs ont jusqu'à présent dédaigné la "voie de l'ouest" et sa "modernité". Ils ont résisté à nos critères occidentaux, selon lesquels la "sédentarisation agricole" serait la seule voie qui permette le "progrès", pour conserver leur mode de vie de pasteurs-chasseurs nomades, leur structure familiale et leurs rituels.
Pour cette raison, les spécialistes occidentaux prédisent leur fin depuis longtemps .

Aujourd'hui, privatisations, rackets fonciers et plus généralement la voracité institutionnalisée viendront ils à bout de cette icône de l'indocilité?

Dans la réserve nationale du "Masaï Mara", qui est considérée comme le plus beau parc du pays - et le seul où on ait toutes les chances de voir les mythiques "big five", c'est à dire éléphant, lion, léopard, rhino et buffle - réside toujours une importante population Masaï qui y élève ses troupeaux.
La doctrine qui voulait séparer les bêtes sauvages et les peuples nomades dans les parcs nationaux est en perte de vitesse. Le respect et la gestion de la nature s'avérant positifs quand les deux cohabitent, on commence enfin à revenir sur le principe de réserves non habitées par les humains.

L’avenir des Masaïs est peut être moins sombre maintenant?…


A lire sur ce sujet: Maasaïitis de Xavier Péron aux Ed.blancs silex.

Après la guerre ce sera la "belle époque" des safaris "champagne chic-choc"…
Celle aussi où le trafic des défenses d'éléphants et des cornes de rhinocéros videra quasiment l'Afrique de ces animaux...
Jusqu'en 1977, quand l'Etat déclarera la guerre aux braconniers… Au terme d'une véritable guérilla armée, les massacres ont quasiment cessé mais la faune a payé un lourd tribut: entre 1948 et 1991 le nombre des éléphants du parc était tombé de 20.000 à 7.000. Les rhinos, eux, avaient totalement disparu. Récemment on en a réintroduit quelques couples, depuis l'Afrique du sud, qui se reproduisent sous haute surveillance.

Mais nous avons pénétré dans le parc maintenant…
Le paysage n'a pas vraiment changé par rapport à l'extérieur, seule la route goudronnée s'est transformée en piste de latérite.

Les clichés ont la vie dure: on s'imaginait empilés dans un 4X4 pourri, la tête dans le vent, accablés par la poussière et le soleil. Eh bien en réalité, nous étions aérés et abrités du soleil par le toit surélevé d'un minibus que nous avions pour nous tout seuls.
Le 4X4, beaucoup moins confortable, n'est pas nécessaire en saison sèche.
Quant à la poussière, on fait très vite avec…


Quand la savane se donne en spectacle…

Rapidement, les animaux se montrent. Sans chercher beaucoup et même sans jumelles…
Des cous de girafes se détachent au dessus des arbustes…
Des troupeaux de zèbres paissent comme dans une prairie…
Des masses rouges, énormes, apparaissent au dessus des buissons: Ce sont des hardes d'éléphants qui vivent sereinement leur vie d'éléphant… Rouges, vous avez bien lu… Et nous n'avons pas forcé sur le rhum. Après s'être arrosés ils se roulent dans la latérite* dont la couleur leur fait ce maquillage seyant.

*Latérite:(du latin later, brique) Sol rouge vif ou rouge brun, très riche en oxyde de fer et en alumine. Formé sous le climat tropical, il se transforme en une cuirasse impropre à la culture sous l'effet de l'alternance des saisons sèches et humides.


 

Tout ce beau monde parait indifférent à notre passage.
Nous semblons juste intéresser quelques individus qui nous observent, nonchalamment, postés un peu à l'écart.
Sans doute des guetteurs.
C'est vrai tant que nous roulons car dès que notre véhicule s'immobilise, tout le monde s'arrête de manger ou de s'amuser. Se fige dans l'attente, prêt à décamper…
Les zèbres et les antilopes s'enfuient souvent très vite.
Les girafes, les éléphants et les buffles montrent plus de sang froid.
Quand même, si nous approchons trop le grand éléphant qui dirige la harde commence à barrir sec et à secouer violemment les oreilles… Nous sommes priés de conserver nos distances et de respecter leur intimité!

Les antilopes  sont superbes : Cornes en lyre, yeux maquillés, robe beige ou fauve, bandes décoratives noires. On ne pensait pas qu'il y en avait tant de sortes différentes: des kobs, des oryx, des élands du Cap... Chaque espèce porte évidemment un nom que nous disent nos guides et que nous oublions illico. Le soir on devra réviser la leçon!
Un peu moins farouches, des troupes de gazelles gracieuses et bondissantes se laissent admirer de plus près...
Il y a aussi des autruches et des marabouts… et puis…

" Mais qu'est ce que c'est que ce drôle d'oiseau là haut, avec ses plumes dressées sur la tête?"
Réponse de Gigi: "Secretary"???
On a dû mal comprendre…
Consultation de notre guide du Kenya: "Aigle serpentaire" qui piétine pour les tuer les serpents dont il se nourrit???
Finalement c'est Giono qui éclaire notre lanterne: "Il a sa plume sur l'oreille comme les commis aux écritures, c'est pourquoi on l'appelle aussi secrétaire".
C'est un grand rapace qui peut atteindre 1,30m et que l'on aperçoit fréquemment au sommet des baobabs…

Gigi nous signale, sous les feuillages, un petit animal de 30 cm au garrot… Vif, rigolo, il bondit comme une balle de ping-pong… C'est la plus petite des antilopes: le "dik dik".

L'appareil photo ne chôme pas… Vive la photo numérique… Nous ferons environ cinq cent photos pendant ce voyage… Hélas, pas toutes excellentes… Les bébêtes collaborent peu!

Au foyer, pendant l'entracte.

A 13 heures on arrive au "Tarhi Eco camp" (Tarhi pour le nom indigène du dik dik et Eco pour Ecolo...) où nous devons déjeuner et passer la nuit. Disposées entre les buissons, une vingtaine de tentes vertes plutôt discrètes. Immenses pourtant, chacune avec lits doubles, table, coin salon et salle de douche attenante. La lutte du personnel contre le sable et la poussière doit être obstinée et quotidienne, mais le résultat est là: les tentes sont propres et agréables.

La salle à manger en plein air propose un buffet appétissant…
Et nous voila rapidement mûrs pour la sieste…
Vite, vite, la sieste… On doit repartir à 15h30 pour aller voir les bébêtes, à l'heure du pub, autour des points d'eau.

A la tombée du jour, tout le monde se regroupe autour des marigots.
Groupe après groupe, les animaux viennent boire. Les girafes, les buffles et les éléphants vont et viennent. Entre eux, les antilopes s'infiltrent.
C'est là que nous découvrons les buffles… Beaucoup plus impressionnants qu'on ne l'imaginait… Massifs et puissants… Arrogants même: ils ne détournent même pas les yeux quand on les fixe!

Pendant ce temps, le soleil descend doucement vers l'horizon… Et la nuit tropicale tombe brutalement…

Nous retrouvons le camp pour dîner sous la tente restaurant.
Trois couples de convives se partagent la salle prévue pour une trentaine... C'est maintenant la haute saison et d'habitude le camp est complet tous les soirs… Depuis les élections, beaucoup d'établissements ont fermé. Ici, le patron (un manager suisse) est morose.

Après dîner on s'installe devant un feu en face d'une mare où des animaux viennent boire… Quelquefois des lions… mais pas ce soir... Sous les projecteurs on verra juste passer quelques buffles… Allez, demain on repart à 7 heures, alors dodo maintenant…
Ç a n'empêchera pas la vie de continuer autour de notre tente. Bruyante… Ç a grogne, tout près. La savane n'est pas du tout silencieuse la nuit… On confirme…


Et tous les jours, "Show must go on".

Le lendemain, sur cette scène immense, le spectacle est toujours un peu le même mais on ne s'en lasse pas.

C'est assez étonnant ces animaux tout proches.
Les éléphants et les buffles se laissent approcher facilement. En fait ils ne se dérangent absolument pas pour nous… On a toujours cette impression (justifiée) d'être sur leur territoire, intrus, trop curieux... Mais on n'a pas l'air de trop les importuner, surtout que notre chauffeur évite soigneusement de les surprendre ou les bousculer, évidemment.
Un soir on se trouvera bloqués derrière un groupe d'éléphants déambulant en famille au milieu de "notre/leur" piste, en route vers le marigot... On les suit au pas, comme un troupeau de vaches de chez nous; sauf qu'ici il n'y a pas de berger pour faire presser l'allure.

Surgissant de la plaine, une immense plate forme naturelle - les "Mudanda rocks" - étend son dos arrondi à une trentaine de mètres d'altitude, sur deux kilomètres. C'est un point de vue superbe sur la plaine environnante, qui sert aussi de poste de guet pour les rangers chargés de la lutte contre le braconnage. Deux d'entre eux patrouillent d'ailleurs à proximité, kalachnikov en bandoulière… On nous dit que ce sont les somaliens qui continuent à braconner (le méchant, c'est toujours le voisin étranger).

En contrebas du rocher, un étang naturel est alimenté par les eaux de ruissellement. Des hippopotames s'y baignent tranquillement.
Superbe…


Le rhinocéros noir ou l'arlésienne du Tsavo Ouest.

Dans l'après midi, en traversant la nationale Mombasa Nairobi, on passe du Tsavo Est au Tsavo Ouest.
Malgré leur proximité, les deux parcs proposent des paysages très différents.
L'immensité quasi plate à l'Est se transforme assez rapidement en collines douces puis en pentes abruptes en approchant des Ngulia hills.

C'est ici qu'a été établi un sanctuaire pour favoriser la réimplantation des rhinocéros. Une immense portion de savane a été solidement clôturée de barbelés et on en a évacué les éléphants car les combats qu'ils menaient avec les rhinocéros étaient trop meurtriers pour ces derniers… Cette partie du parc est ouverte au public tous les jours de 16 à 18 heures.
Nous la parcourrons donc pendant deux heures, y croisant plein d'animaux et quelques autres véhicules, mais point de rhinocéros… Il parait qu'il y a actuellement une cinquantaine d'individus, mais le sanctuaire est tellement grand qu'il faut un peu de chance pour en apercevoir…


Une nuit à l'opéra

Ce soir, nous logeons au "Ngulia Hills Lodge".
Installé à flanc de colline, avec des terrasses qui servent de belvédères sur la vallée, il est très intégré au paysage et les matériaux dont il est construit sont très discrets quand on l'aperçoit de loin dans la lumière du couchant.

Ici c'est l'accueil à grand spectacle des établissements de luxe: réception à courbettes, serveurs en uniforme alignés comme à la parade… Il y a comme une volonté d'imiter les grands hôtels… Mais ça reste africain et bon enfant…

Notre bungalow, à deux cent mètres du lobby, offre un point de vue extraordinaire sur la vallée; surtout sur un marigot, creusé quelques dizaines de mètres en contrebas, où les animaux viennent boire dès la tombée du jour, à la lumière d'un projecteur.
Voilà notre programme télé fixé pour la soirée… On y verra les buffles se désaltérer, puis les éléphants… Les uns après les autres… De temps en temps les hippos qui vivent dans cette mare grognent, s'insurgent contre ces intrusions… c'est leur mare… ils étaient là les premiers, puisqu'ils y sont toute la journée…

Le buffet du soir est sympa mais finalement pas meilleur qu'au camp d'hier soir…
On pourrait peut être dire que la gestion du manager Suisse du camp est plus efficace que la gestion purement locale du Lodge de ce soir... (Décidément on cherche à se faire bien voir des suisses, on dirait)

Dès notre arrivée, nous avons été mis en garde: pour le trajet de 200m jusqu'à notre bungalow, jamais tout seuls dès la nuit tombée…
La zone de l'hôtel n'est pas clôturée et les léopards chassent… On distingue même des traces de passage de buffles et d'éléphants autour des bungalows… Ainsi, quand le dîner sera terminé, un gardien armé d'une lance viendra nous escorter jusque notre chambre!

Effectivement, au milieu de la nuit, quand on entendra des grondements et autres barrissements , des bruits tout proches de végétation malmenée, on se demandera si la moustiquaire qui tient lieu de vitre à l'immense baie dominant la vallée, nous met vraiment à l'abri d'un léopard en colère ou affamé…


Les vacances se terminent.

Après cette nuit impressionnante, on ressortira doucement du parc en visitant au passage les "Mzima Springs".
Ce sont des plans d'eau alimentés par des sources qui descendent des "Chyulu hills", une chaîne qui s'élève à 2000 mètres à l'ouest. L'eau, filtrée par les cendres volcaniques, est plus que cristalline. Des petits lacs entourés de palmiers et de raphias géants, abritent crocodiles et hippopotames. C'est calme, frais, ombragé.

Plus au sud, on apercevra au sommet du ciel, émergeant au dessus des nuages, le Kilimandjaro… Les flancs de la montagne se fondent dans les nébulosités et on n'en voit que le bonnet de neige qui la coiffe et émerge au dessus de la brume, à plus de 5800 mètres.

Voila, c'est fini… On revient au bateau la tête pleine d'animaux et le coeur émerveillé.
Dommage que nous n'ayons pas vu de lion, ni de léopard! Sans doute qu'on n'avait pas les bons grigris…

Ces parcs africains et la politique de préservation qui les inspire ont sans doute sauvé de l'extermination cette population animale qui nous émeut tant . On rappellera quand même que leur création s'est faite dans la douleur : Beaucoup de tribus qui vivaient là ont été déplacées pour laisser la place aux animaux et les braconniers ont mené de véritables guérillas pour défendre leurs revenus …
De la peine et des morts…

Relire absolument: " Le Lion" de Joseph Kessel (chez folio) et revoir le film "Out of Africa" de Sydney Pollack (Ne serait ce que pour commémorer le décès récent de ce dernier.)

Histoire Géo du Kenya et de la Tanzanie


La côte Est de l'Afrique a été, pendant plus de 2000 ans, le théâtre d'échanges intenses avec la méditerranée, le golfe persique, et l'orient. Une culture syncrétique de croyances arabes et de coutumes africaines s'y est ainsi développée: la culture Swahili.

La population Swahili s'est constituée progressivement, depuis le 10ème siècle, par métissage entre Bantous, Arabes et persans.
La langue, d'origine bantoue, est aujourd'hui commune au Kenya, à la Tanzanie, à l'Ouganda et à l'ex Zaïre.

Autour de 1505, Vasco de Gama arrivant dans la région, intervient dans les conflits entre les sultans locaux et obtient Mombasa pour le Portugal . Pendant deux cents ans, la lutte entre portugais et Omanais pour la suprématie économique (sous couvert de guerre sainte) va enflammer la côte. Les sultans finiront par l'emporter.

A partir de 1750 se développe un juteux trafic d'or blanc et d'or noir (défenses d'éléphants et esclaves) en provenance du centre de l'Afrique. Très actif jusqu’à la fin du 19ème siècle, le trafic d’esclaves a fait une dizaine de millions de victimes noires, pour fournir des domestiques en Arabie et des ouvriers dans les plantations de la compagnie française des indes orientales, à la réunion, l’île Maurice, Mayotte et en Inde.

En 1832 le sultan d'Oman, tombé sous le charme de l'île de Zanzibar, décide d’y établir sa nouvelle capitale. Des palais sont édifiés et le port devient vite le plus grand marché d'esclaves de tout le continent noir.
Ce n’est qu’à la fin du 19ème siècle que ce trafic périclitera, sous la pression des anglais qui ont décidé d'abolir l'esclavage. Pas précisément pour des raisons humanitaires mais bon, c'est le résultat qui compte!

Plus à l'intérieur du continent, ce n'est qu'au 18ème siècle que les explorateurs européens pointent leur nez.
Un des plus grands, David Livingstone, missionnaire protestant, traverse une première fois le continent africain en deux ans, découvre les chutes du lac Victoria et fonde un poste sur le Zambèze… Il disparaît en 1868 alors qu’il était parti à la recherche des sources du Nil. Stanley, journaliste voyageur parti à sa recherche, le retrouvera en 1871 sur la rive Est du lac Tanganyika! Les premières paroles de Stanley auraient été " Dr Livingstone, je présume?".
Le monde est finalement bien petit… mais ça on vous l'a déjà dit plein de fois.

C'est aussi dans cette région, à cheval sur l'équateur, qu'ont été découverts les vestiges les plus anciens de la présence des préhominiens.

Le partage du pouvoir au Kenya


Le territoire du Kenya est partagé entre plusieurs minorités ethniques importantes: les Kikuyus autour du mont Kenya, les Luos dans la région du lac Victoria, Les Turkana au Nord dans la vallée du Rif et les Massai au sud jusqu'en Tanzanie.

Comme souvent en Afrique, élus ou autoproclamés, les individus dépositaires de l'autorité républicaine travaillent en priorité pour leur tribu qu'ils sont obligés, par tradition, de favoriser. Des tribus s'enrichissent ainsi, au détriment de celles qui ne sont pas au pouvoir et les alternances qui risquent de faire suite à des élections n'en sont clairement pas facilitées…

Selon les résultats du scrutin de décembre 2007, Mwai Kibaki (président sortant, d'origine Kikuyu) aurait dû céder son fauteuil à Raila Odinga (leader du parti "orange", d'origine Luo).
Mais voilà, poussé sans doute très fort par les riches notables Kikuyus qui ne voulaient pas perdre leur avantage, Kibaki qui disposait de l'armée, de la police et de l'administration ne s'est pas effacé comme ça, sans résistance.
Pas vraiment contents, les autres ont vite sorti leurs machettes… Et les policiers leurs fusils, chargés de vraies balles.
Les manifestations tournèrent rapidement à l'émeute, avec plein de morts…
Des matatus (minibus publics) furent brûlés…
La population fulminait, accumulant les rancoeurs…
Allait on basculer dans l'horreur de la guerre civile? Le souvenir du Rwanda hantait les pensées…

De doctes conseillers sont venus du monde entier à Nairobi pour discuter de tout ça avec les grands frères noirs…
Début mars, sous la pression, un compromis est trouvé: Kibaki reste en place mais Odinga y gagne une place de premier ministre créée spécialement pour lui…
En attendant des élections législatives… (Trafiquées elles aussi ???)

Pour l'instant les gens sont soulagés de la fin des troubles et espèrent que le flux touristique va rapidement se réamorcer.
En effet, les images sanglantes et les commentaires dramatiques, diffusés par la presse occidentale, ont complètement détourné du Kenya le flot des touristes amateurs de plages et de safaris.
Des compagnies aériennes en sont même arrivées en Février 2008 à supprimer leurs vols réguliers vers Nairobi.

En 1885 à Berlin les grandes nations coloniales se mettent en tête de formaliser les "sphères d'influence" de chacun:
Dans l'est de l'Afrique, l'Allemagne aura le Tanganyika et les anglais conserveront le Kenya. Les îles de Zanzibar, Pemba et Lamu, ainsi qu’une étroite bande littorale restent au sultan Bargash.

La reine Victoria et l'empereur d'Allemagne décident alors de séparer leurs domaines par une ligne droite reliant le lac Victoria et l'océan Indien. Seulement voilà: cette frontière coupe en deux le mont Kilimandjaro, point culminant de l'Afrique.
C'est fâcheux! Il est alors entendu que la frontière passera au nord du Kilimandjaro et donc que ce dernier appartiendra au Tanganyika.

C’est ainsi que les blancs se coupèrent des parts de gâteaux à grands coups de frontières rectilignes, sans respect des cultures tribales. (Le territoire Masaï fut ainsi coupé en deux)

Suite à la première guerre mondiale le Tanganyika passe en 1922 sous contrôle des anglais. Le pays se prêtant moins bien que son voisin le Kenya à l'établissement de grandes plantations, ses nouveaux maîtres ne semblent pas s'y être investis énormément.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale les idées d'émancipation se propagent à travers les pays colonisés; les luttes pour l'indépendance s'organisent et se poursuivent jusqu'au début des années 60, le Kenya et le Tanganyika acquièrent alors leur indépendance.

Au Kenya, Jomo Kenyatta sera le premier président. C'est un Kikuyu, une des minorités ethniques du pays.
Il engagera le pays sur les traces de l'occident, avec des slogans du genre "Enrichissez vous!". Le Kenya fait partie du Commonwealth et les grands propriétaires anglo-saxons restent en place. On peut encore en voir des spécimens typiques au bar du Yacht Club de Kilifi tous les samedis midi.
Le Kenya est aujourd'hui le pays le plus industrialisé de l'Est africain, avec une classe moyenne bien formée et une main d'œuvre très bon marché… Les analystes lui attribuent une qualité importante: la bourgeoisie noire ayant réinvesti sur place ses richesses et ses profits (ce n'est pas si courant) elle a un intérêt certain à ce que le pays conserve un minimum de stabilité. Ce n'est sans doute pas étranger à la solution "pacifique" apportée au conflit post électoral de janvier 2008.

Le Tanganyika voisin obtient lui aussi son indépendance en 1961.
Les îles de Zanzibar et de Pemba s'unissent au Tanganyika en 1964 pour constituer un seul état: La Tanzanie.
C'est Julius Nyerere, formé à l'université d'Edimbourg, qui dirige ce nouveau pays et l'engage sur une voie de type "Chine communiste", créant des communautés villageoises et des coopératives…
Tout ça n'attire évidemment pas l'aide des pays occidentaux et le marasme économique guette vite. Fin 1985 le pouvoir passe au président de Zanzibar qui va libéraliser peu à peu l'économie et autoriser le multipartisme. En 1995, Mkapa, un des bons élèves de Nyerere devient président mais poursuit l'ouverture à l'occident.
Dotée d'une population dirigeante moins corrompue, la Tanzanie est considérée actuellement comme plus sure que le Kenya par les investisseurs. (En attendant, la Tanzanie côtoie les records mondiaux de pauvreté)…
Le swahili y est resté la langue officielle et l'anglais, qui n'est pas enseigné systématiquement, y est plus rarement parlé qu'au Kenya.

 

Le chemin du retour… Vers Madagascar!


Mais c'est pas tout ça… Maintenant que des haubans tout neufs ont été reçus et installés, il nous faut penser aux 700 milles encore à parcourir jusqu'au sud de la Tanzanie, avant de traverser le canal de Mozambique vers Mayotte puis Nosy Be.
Avec tous ces contretemps nous sommes maintenant à la mi mars et la mousson de Nord a déjà disparu.
C'est la saison de transition et il faut se dépêcher avant que ne s'installent vraiment les forts vents de sud.

D'abord sortir du Kenya, à Shimoni.

Nous partons donc de Kilifi le 12 mars vers midi, pour une étape de 80 milles jusqu'à Shimoni, dernière escale kényane où nous comptons accomplir les formalités de sortie du pays.

Mais d'abord il faut franchir, dans l'autre sens, le pont et la ligne électrique qui surplombent notre accès à la mer.
Après l'incident qui a coûté la santé à notre safran bâbord à l' arrivée, nous sommes encore inquiets et nous demandons sans honte à être guidés par un employé du chantier pour passer la chicane. Même ainsi l'angoisse règne à bord, mais cette fois sans conséquence…

L'obstacle franchi, c'est le retour à la mer, vent de travers, fort courant dans le nez et une nuit de veille où nous croiserons plusieurs cargos se dirigeant vers Mombasa. Le lendemain matin, nous mouillons devant Shimoni.

Pas vraiment une ville… A peine un gros village…
Sur la rive, on distingue quelques constructions qui doivent être des hôtels de luxe.
On débarque en annexe devant un bel escalier, genre monumental, qui escalade la rive.
Mais non, ce n'est pas un hôtel... C'est l'accès au bureau des autorités des parcs nationaux, gardé par des rangers!
Il s'avère que les hôtels du bord de mer sont tous fermés…
Plus personne ne vient en ces temps "d'insécurité" post électorale…
Du coup nous avons beaucoup de succès auprès des "beach boys" au chômage qui guettent le client... Dès la sortie de l'escalier, entraînés le long de l'unique route ensablée vers le cœur du village nous sommes, comme toujours, l'attraction.

Premier objectif: les formalités.
Hélas, l'administration vient de fermer… C'est "lunch time"…
Il va donc falloir que nous allions luncher, nous aussi…

Et comme les restaus à touristes sont fermés, il va falloir faire local…
On est alors guidés vers la seule cantine ethnique du lieu: une case en bambou, pierres volcaniques et tôles…
A l'intérieur, dans la pénombre, quelques tables collantes servent de pistes d'atterrissages à des escadrons de mouches… Nous sommes les seuls clients…
Dans un coin, deux superbes mamas africaines, vêtues de boubous colorés sont étalées sur un banc. Elles observent et commentent notre arrivée… Qui ne parait pas les perturber outre mesure: elles ne bougent pas d'un poil… Comme elles ne répondent pas à nos questions, on en déduit qu'elles ne parlent pas anglais.
Notre guide "en chef" s'affaire autour de nous et tente une médiation...
Après force discours et mimes, on comprend qu'on peut avoir du poisson cuit; de celui qu'on aperçoit là bas, derrière le grillage d'un garde manger du plus pur style années 50…
" Avec du riz? "
" Oui et quelques légumes si possible…"

Le repas sera à la hauteur du prix: à peine plus d'un euro, Coca compris…
Une demi heure plus tard on comprendra qu'on est venus déjeuner un peu tôt dans ce "routier" du coin, quand les habitués arriveront en nombre et provoqueront le lever des deux mamas qui daigneront alors les servir…

Dans l'après midi, Gérard retournera seul vers l'administration et les formalités.
Le fonctionnaire de l'immigration tentera bien d'obtenir un paquet de sous en échange de son tampon de sortie, mais devant la fermeté du capitaine qui parle d'en appeler à l'arbitrage des fonctionnaires des douanes, il renonce avec le sourire.
Ce sera la seule tentative de corruption qu'on constatera durant ce voyage.


Pour arriver en Tanzanie à Tanga.

A une vingtaine de milles de Shimoni, la ville de Tanga est située au creux d'une grande rade très fermée, près d'un Yacht club bien caché à l'abri d'une pointe rocheuse. C'est un port actif de Tanzanie, sans doute le second après Dar-es-Salam. En témoignent quelques grues qui paraissent attendre les cargos au mouillage devant les quais, et les nombreux camions qui s'y croisent en tirant leurs containers.

La course aux administrations pour faire l'entrée en Tanzanie va nous demander une petite enquête préliminaire: heureusement d'autres bateaux sont déjà mouillés là, parmi lesquels celui de Paul et Anna, rencontrés en décembre au chantier de Kilifi.

L'accès à la ville est facile, en prenant un "dala-dala" (c'est le nom tanzanien des "matatus" ou taxis collectifs) à 200m du yacht club. Cette petite cité va nous plaire tout de suite et paraître assez différente d'une ville kenyane. La structure urbaine est plus nette, l'ambiance plus propre et plus dynamique qu'à Kilifi.

Nous sommes arrivés un vendredi après midi et avant l'heure de fermeture on ne pourra visiter que le capitaine du port et les douanes… Pour l'immigration il faudra attendre lundi. On va se consoler dans la bière du yacht club… Ce dernier, très british évidemment, retient tous les boaties anglo-saxons dans le coin. Ils adorent cette vie de pub midi et soir. On en profitera largement nous aussi, mais on ne prendra pas racine et le mardi matin on sera repartis.


Cap vers Dar-es-Salam…

Il faut se rendre à l'évidence, la mousson de nord est terminée et tous les jours maintenant le vent souffle de secteur Sud Est… Pas très fort, parfois hésitant, mais jamais de nord ouest…

Les trois étapes jusque Dar-es-Salam nous permettront d'expérimenter une tactique de navigation qu'on utilisera ensuite presque systématiquement jusqu'à Mtwara, tout au sud du pays:
Départ très tôt le matin pour profiter d'un peu d'ouest concédé à ces heures là par le vent de sud et tirer un bord vers le large; dans la matinée le vent qui remonte doucement vers l'est, facilite un bord vers la terre où on arrive au mouillage choisi en cours d'après midi.
Tout ça améliore un peu un louvoyage qui ne double plus tout à fait la longueur de la route. Comme ça ne dure pas très longtemps et que la mer n'est pas trop formée, ce n'est pas désagréable.

Nous mouillerons ainsi successivement au milieu de rien, derrière un banc de sable qui émerge en pleine mer à 10 milles de la côte, puis devant le port de Zanzibar, avant d'arriver le jeudi soir devant le Yacht Club de Dar-es-Salam.

Dar, comme on dit ici, est l'ancienne capitale et la plus grande ville du pays.
(la capitale administrative est maintenant installée à Doudouma, à 500 kilomètres à l'intérieur, façon Brasilia).
Elle a été construite pour une bonne part par les allemands, et nous est apparue plus agréable et mieux entretenue que Mombasa, mélangeant immeubles de commerce modernes et bâtiments africains plus traditionnels…
Pourtant, au bar du Yacht Club, une jeune Belge résidente nous confiera qu'elle va à Nairobi pour faire ses achats car c'est plus branché et moderne… Va savoir Charles!


Et son Yacht Club

Installé dans un grande baie bien abritée du sud est, à quatre milles au nord de la ville et du port de commerce, le mouillage du Yacht Club de Dar-es-Salam est très bien organisé. A peine mouillés, nous avons la visite d'une navette qui, en guise de bienvenue, nous donne un "formulaire d'arrivée" qui s'avère être une longue liste de règlements, d'interdits et de mesures de contrôle. Plus sympathiquement, elle s'offre à nous débarquer devant le Yacht Club, à la demande, 24 heures sur 24, sur simple appel VHF. Voilà qui sera bien pratique car nous sommes quand même mouillés à près d'un demi mille de la côte.

Dès l'abord, on découvre un yacht club pur anglo-saxon. C'est immense, bien tenu et pas chaleureux du tout. Ambiance club "blanc de chez blanc" plutôt fermé. Les bateaux de passage sont tolérés mais…le sourire n'est pas compris dans l'accueil.
Massivement les noirs y sont des employés et les blancs des membres privilégiés… (Genre Port Moresby, en Papouasie). Tout est organisé pour les loisirs des blancs: plage, piscine, école de voile, club de pêche au gros.
Mais enfin la bière est fraîche, la pizza est bonne ainsi que le BBQ de poisson …

Autour de l'enceinte très close et bien gardée du club, le quartier est carrément "résidentiel riche": grosses villas (souvent diplomatiques) barricadées derrière de hauts murs, et fortement gardées elles aussi... Quelques hôtels très luxueux…
Peut être la vie en Afrique n'est elle supportable pour les blancs que comme ça, organisée en ghetto? Qu'en savons nous après tout?

Nous n'avions pas l'intention de nous attarder ici, juste le temps de confier un courrier urgent à DHL.
Mais le vendredi de notre arrivée se révèlera être un jour férié et il nous faudra attendre lundi pour trouver les bureaux ouverts.
Les commodités du Yacht Club seront donc bienvenues pour nous faciliter ce contretemps.

(Il faudrait que nous relisions toute la gazette pour noter le nombre de fois où nous atterrissons des jours fériés…
Il doit y en avoir un bon paquet…
Serait ce qu'il y a beaucoup trop de jours fériés? Comment voulez vous que le monde tourne avec tous ces jours de relâche..ment?)


Vers le sud, sur les traces des splendeurs du passé.

Les quelques trois cents milles qui restent jusqu'à Mtwara se parcourrons sur le même rythme:
Départ très tôt le matin (vers 4h) pour sortir du mouillage dans le noir, en suivant la trace d'arrivée enregistrée la veille sur l'ordinateur… Une fois en mer, deux ou quatre bords de près serré, selon la bonne volonté du vent, pour arriver au mouillage suivant dans le courant de l'après midi.

Après avoir traversé le plateau corallien qui entoure Mafia Island sur plus de 120 milles, nous mouillons le 30 mars devant l'île de Kilwa Kisiwani, dans l'estuaire d'un grand fleuve, en face d'un superbe fort en ruine.

C'était, au 16ème siècle, le site d'une grosse agglomération et un comptoir commercial important. Il en reste aujourd'hui des ruines qu'on dit intéressantes. Dans les bureaux de l'administration des antiquités où on achète les billets de visite et le guide qui va avec, nous rencontrons Paul, un jeune Hollandais "sacadoïste" et solitaire, en voyage sabbatique, avec lequel nous partagerons la visite. Sympathique.

Le fort devant lequel nous sommes mouillés a été initialement construit par les portugais vers 1500, pour protéger leur nouveau territoire. Au cours des nombreux combats qui vont se succéder, il changera de mains plusieurs fois et chaque fois sera agrandi, amélioré, embelli… C'est aujourd'hui une ruine assez imposante, comparable à nos châteaux forts moyenâgeux.
Le reste de l'agglomération: le palais, les mosquées et le caravansérail sont plus anciens. Palais à étages, piscines, théâtres à gradins, puits de 15 mètres… Les ruines sont éloquentes… Évocatrices de puissance, de richesse et de gloire.
C'était une grande cité de 10 000 habitants qui abritait les échanges fructueux des richesses respectives de l'Afrique centrale et de l'Asie transportées jusque là sur des boutres. Bien des nations ont traversé les mers pour conquérir cette Babylone et récupérer l'ivoire, les résines, les esclaves ou l'or du Zimbabwe, et aussi les porcelaines de Chine, les soieries et les bijoux.
A leur arrivée ici, les portugais furent impressionnés par le niveau de vie qu'ils découvrirent, par comparaison avec celui qu'ils connaissaient en Europe.


Jusqu'à Mtwara.

La baie de Mtwara est immense et héberge deux ou trois baies plus petites et très fermées, qui constituent autant d'excellents abris. C'est là, à quelques dizaines de milles de la frontière avec le Mozambique, que nous avons prévu de nous installer pour attendre quelques semaines que la saison des cyclones nous paraisse terminée, avant d'entreprendre la traversée vers Madagascar.

Nous mouillons dans la baie de Mikindani, devant le village du même nom, à une dizaine de kilomètres de l'agglomération de Mtwara.
Avant le développement de cette dernière par les anglais, qui voulaient en faire un port à capacité militaire, Mikindani était la capitale locale. Il en reste un fort arabe, tout blanc, joliment entretenu et transformé en hôtel; quelques ruines de bâtiments militaires et de prison, de l'époque germanique… Un ancien marché aux esclaves est occupé aujourd'hui par des boutiques et une gargote très "ethniques". Le reste du village est plus traditionnel, mélange de maisonnettes en pierre de corail et de cases complètement végétales. Une mosquée et une église dépassent à peine des toits de chaume. Les religions sont plutôt discrètes en Tanzanie.
Tout le front de mer bordé de cocotiers fait très carte postale.
Pas de publicité de coca cola sur les murs, mais… le long de la plage, plusieurs cases sont peintes en rouge sang et conseillent l'achat d'une marque de téléphone mobile…
Le progrès a quand même frappé fort...

Une visite importune

Sur le plan des mesures de sécurité on a clairement baissé la garde ces dernières semaines, engourdis qu'on était par des mois de vie de club, super protégée...
On continue bien sûr à remonter l'annexe tous les soirs… Par réflexe, mais sans plus… Pas de cadenas ni de chaînes… Rien de sérieux quoi!

Eh bien ici, dans la baie de Mikindani, tout seuls et bien tranquilles qu'on était, des sacripans ont réussi à s'approcher nuitamment de Getaway, à descendre l'annexe du portique (en coupant le bout de relevage) et à faucher le moteur hors bord de 2CV qui y était installé.
Ils ont bien essayé de s'attaquer au gros moteur de 15CV qui était fixé sur le tableau arrière de Getaway mais n'ont pas réussi à forcer la barre anti-vol…
On n'a rien entendu…
Le cap'tain a été réveillé vers 4 heures du matin par un bruit de clapot inhabituel: c'était l'annexe qui piaffait, abandonnée sur l'eau, encore attachée à sa barre de relevage.
Nos voleurs ont eu l'amabilité de ne pas nous la piquer… et ont oublié sur place de vieux vêtements en loques et un couteau rouillé…
Peut être GG les a-t-il surpris finalement?

C'est très frustrant sur un bateau, ces visites nocturnes dont on n'entend rien du tout… Depuis c'est le dispositif "alerte rouge" sur Getaway:
annexe et moteur sont enchaînés et cadenassés sur le portique toutes les nuits,
le capot de descente est verrouillé aussi
et le capitaine dort dans la cabine arrière pour améliorer sa sensibilité aux bruits bizarres…

Quand on débarque sur la plage, une nuée de petits et grands se rue sur nous en riant.

Quelques mots surnagent:
" Mi police" crie celui-ci en se montrant du doigt (Ah bon???)…
"Mi watch" hurle un autre en montrant l'annexe…
Ah mais c'est ça qu'ils veulent: garder l'annexe et assurer sa sécurité... Contre quelque monnaie, évidemment…
On finit par en choisir un au hasard: "OK YOU watch" appuyé d'un clin d'œil entendu… Ça ne nous coûtera qu'un tiers d'euro à chaque fois… Une petite fortune pour eux.

On leur demande pourquoi ils ne sont pas à l'école…
Réponse: "pas ce matin"… ou alors "pas cet après midi", c'est selon.
Tous les jours nous serons quand même interpellés par ce manque d'assiduité des enfants à l'école.

Notre première visite au village sera évidemment aidée par un guide auto proclamé, qui nous fera découvrir un petit marché aux légumes. Les possibilités de contact en anglais sont rares et le dialogue est succinct; on s'apercevra vite que ce n'est pas la langue nationale.


Mtwara ville nouvelle…

Un service régulier de "dala-dalas" existe entre Mikindani et Mtwara.
Dans ce pays, le prix du passage est dérisoire. De l'ordre de 10 fois moins cher qu'au Kenya! En contrepartie, ces minibus ne circulent que lorsqu'ils sont complets… Et complet ici ça veut dire complet: c'est quand, même en tassant fort, on ne peut plus faire entrer un corps humain dans le volume du minibus… Et même là, on essaye quand même… Le métro parisien au pire des heures de pointes…
Il y a quinze places assises dans le véhicule, mais aucun ne quittera son terminus s'il n'y a pas 20 passagers à bord. Et en route, on ne refuse jamais personne!
Nous avons été plusieurs fois ahuris de voir charger en chemin deux ou trois femmes avec leurs paniers, alors qu'il ne semblait plus y avoir la place de loger une épingle… En plus, les mamas sont souvent "conséquentes" par ici.

On arrive à Mtwara après une petite demi heure de transport et on découvre que de cité il n'y a point. C'est un peu comme une ville nouvelle de chez nous, qui n'aurait jamais été terminée… De longues avenues rectilignes, parsemées de quelques agglomérations peu denses, séparées d'un ou deux kilomètres.
Pour aller d'un point à un autre, les distances sont tout de suite importantes.
Heureusement on trouve des Tuk-tuks (sorte de scooters triporteurs, transportant deux passagers) pour relier les différents hameaux.

Il parait que près de 100.000 personnes vivent à Mtwara!

Les dala-dalas ont leur terminus près du marché et c'est là que nous venons une fois par semaine faire le plein pour la cambuse de Getaway.
C'est un marché assez important où on trouve de tout: objets en plastique divers, uniformes d'écoliers, tissus… Réparateurs de vélos (on roule beaucoup à bicyclette par ici, contrairement au Kenya)… De la "Hi Fi" aussi, dont on croise des échoppes de dépanneurs qui officient assis par terre, dans la poussière. Et partout les nombreuses cahutes rouges de téléphones portables.
On y trouve un quartier fruits et légumes assez vaste, mais la variété des éventaires n'est pas grande (à notre goût): Pommes de terre, oignons, tomates… Quelques rares papayes ou maracujas. Des œufs aussi.
Mais où est la viande??? On finit par découvrir un coin où on vend des poulets sur pied. Qu'on peut aussi vous tuer et plumer, pour quelques centimes supplémentaires. Pour le bœuf, il y a des boucheries dans une autre agglomération, à deux kilomètres. Malgré une enquête serrée exprimée en "Bêêêhh, miam-miam et mimes de cornes", nous n'avons jamais réussi à trouver de la chèvre… Même dans l'échoppe qui s'affichait "International Butcher", où on ne trouvait, derrière les mouches, qu'un quartier de bœuf à découper.
Rustique quoi!

Nous passerons trois semaines agréables ici, sans mourir de faim… Comme il suffit de cuire la viande suffisamment longtemps pour l'aseptiser, on a opté pour le bœuf bourguignon. Le vin rouge ça désinfecte, non?

Mais les meilleurs choses ont une fin et le samedi 26 avril, nous quittons le continent africain pour traverser vers Madagascar.
Afin de réduire un peu la longueur d'une traversée qui devrait se faire contre le vent, nous prévoyons de faire escale à Mayotte. Ce sera aussi l'occasion de reprendre contact avec les produits français dont nous avons un peu oublié le goût: Camembert DE Normandie, Saucisson et charcuterie,…

Enfin, il y aura encore du bonheur de l'autre côté de l'eau.