LA GAZETTE DE L'A.R.B
Anyvonne Restaurant Bar
 
Indonésie - Le journal de bord
N°28 - Février 2006

 


 

Nos adieux au Pacifique  


Partir; c'est revivre un peu…

Vous vous rappelez sûrement que nous sommes en Papouasie Nouvelle Guinée et qu'à la fin du "festival des masques" de Rabaul, notre retour vers Port Moresby avait commencé sportivement dès l'aube pour pouvoir prendre l'avion… Eh bien, arrivés à Port Moresby, ça a continué sur le même rythme pour quitter au plus vite la confortable marina du RPYC et plus généralement la Papouasie Nouvelle Guinée.

Parce que c’est pas tout ça, mais notre programme de navigation est plutôt chargé cette année. Encore beaucoup de milles à parcourir…
Alors c’est bien joli de faire dans le culturel et d’aller voir les danseurs papous à Rabaul, mais maintenant il faut "rattraper" le temps "perdu":
Revenus au bateau le dimanche 17 juillet en fin de matinée, nous projetons de quitter la marina dès le lendemain vers midi!!!

Recensement des "chauds zaffaires": Habituelles lessives, courses et formalités de départ, auxquelles nous voulons ajouter cette fois la visite du "PNG Art Market". On nous en a parlé déjà plusieurs fois comme du meilleur endroit pour acheter des objets d'art papou mais nous ne l'avions pas encore trouvé.
C'est donc maintenant ou jamais… Pas de temps à perdre…
Alors on commence tout de suite par le plus important: le "PNG Art Market" - Notre visite à Rabaul nous a donné faim de souvenirs d'artisanat Papou… Nous finissons par le découvrir sous un immense hangar d'une sorte de zone industrielle, où il est ouvert même le dimanche.
Et là, c'est carrément la Caverne d'Ali Baba: statues, masques, casse têtes, bâtons de danse, grigris divers… Du vieux et du plus neuf… Du magnifique et du pas beau… Du minuscule et de l'énorme… L'art y voisine dans son meilleur avec le pire "artisanat" pour touristes… Il nous paraît clair que les plus beaux masques viennent de la région de la Sepik river ou au moins des Highlands.
Après deux bonnes heures de fouinage, on finira par dénicher cinq objets à notre goût. A notre goût ET compatibles avec la taille de Getaway, que nous n'avons jamais autant regretté d'être aussi petit!

Si vous passez par là, nous vous conseillons fortement la visite: C'est situé sur Spring Garden Road à Hohola et c'est ouvert tous les jours. C'est donc plutôt contents que nous passons notre dernière soirée au Yacht club, avec Joran, devant une monstrueuse pizza arrosée de DEUX bouteilles de vin! (On était quand même 4 dessus…)

Le lundi matin, les femmes iront s'occuper de finir l'avitaillement à "Foodland" (ça ne s'invente pas) pendant que les skippers courent les bureaux de l'administration, pour les formalités de départ.
Finalement, à midi, l'objectif est atteint et nous pouvons larguer les amarres pour une petite trotte de 22 milles vers le nord, histoire de se mettre l'estomac en jambes (l'image est forte..), jusque Redscar Head à l'abri de laquelle nous comptons passer la nuit.


Premiers bords, premières rencontres, premières pannes aussi…

Vent arrière, mer belle, c'est un chouette après midi de navigation, façon sortie familiale du dimanche…
Nous mouillons vers 17 heures comme prévu, mais sur chaque bateau une panne va occuper la soirée du skipper: le guindeau pour Joran (aïe aïe aïe le dos!), le pilote automatique pour nous.
C'est donc atelier réparation pour les hommes pendant que les femmes font dans le social et accueillent des pirogues pleines d'enfants enthousiastes, adorables et rieurs; heureusement qu'on a refait le plein de sucettes!!!
Le spectacle de l'habileté de ces enfants, qui abordent doucement Getaway à la voile avec leur pirogue à balancier est ahurissant. Nous les verrons même faire une marche arrière pour corriger leur trajectoire…

Le lendemain, une cinquantaine de milles aussi agréables le long de la côte de Papouasie, nous mènent à l'abri de Hall Sound, qui est le large passage à terre de Yule Island.

Cette île est remarquable parce que le site du premier point de colonisation blanche de la Papouasie. C'était une mission française qui existe d'ailleurs toujours; mais nos missionnaires nationaux y ont été remplacés récemment par des prosélytes hollandais et polonais…

Ce mouillage nous a été conseillé par des yachties locaux du RPYC. L'entrée demande un peu d'attention mais il fait partie des quelques endroits qu'ils considèrent comme "sûrs" pour leurs sorties de week end.

Sur cette grande étendue bien protégée, nous mouillons un peu à l'écart de Yule Island, devant Pukama, un village de pêcheurs établi sur la côte de la grande île.

Dès notre arrivée, un chef du village, accompagné de ses filles, passe nous voir au retour de la pêche. Il en profite pour nous offrir un joli poisson qui assurera notre dîner. Le lendemain il nous apportera des crabes.
Sucettes et T-shirts contre poisson? Ce n'est pas du tout du troc; plutôt de l'hospitalité traditionnelle et polie…

Nous aurons aussi la visite de Luke, un jeune homme de 20 ans qui semble rêver beaucoup du monde qui se trouve de l'autre côté son horizon... Assemblés autour d'une bière, il nous raconte son village: 300 habitants, catholiques, 4 clans, 4 chefs… On y vit de pêche et de culture vivrière dont on écoule le produit sur des marchés, à quelques heures de pirogue.
Il nous dit sa joie de voir des bateaux s'arrêter ici. Il en vient rarement et ils mouillent plutôt en face, sur Yule Island.
Il nous parle de ses espoirs d'aller l'an prochai

n étudier la mécanique à la High School de Madang et des problèmes qui vont avec: L'école est chère: 5000 kinéas par an, (environ 1500 euros) et le seul moyen de gagner quelques sous ici est de louer ses bras à l'entreprise (chinoise) d'abattage d'arbres, au fond de la baie.
Pendant que nous lui préparons quelques souvenirs, il va nous chercher à terre des tonnes de citrons, papayes, caramboles, piments oiseau… pour notre traversée imminente.
Vers 17 heures, il repartira avec quelques heures de musique Reggae, des T-shirts et du chocolat. Heureux je crois… Nous aussi…

En attendant, Getaway a de nouveau un pilote électrique mais Joran n'a toujours pas de Guindeau…


Toujours plus vers l'Ouest

Le samedi 23 c'est le vrai grand départ de Papouasie. Vers l'ouest et le détroit de Torres.
Ce détroit est un mythe de la navigation maritime: Entrée difficile à localiser, semé de récifs et parcouru de courants violents… Et long, très long (près de 150 milles)… Et tortueux...
Mais ça, c'était avant le GPS et les cartes électroniques…
Aujourd'hui, avec le vent de 25 à 30 nœuds qui souffle par notre travers, le golfe de Papouasie nous paraît une épreuve aussi redoutable…

Dès qu'on a passé la pointe qui nous abritait, le "bon vent" du matin nous fait vite prendre un ris… Puis deux... Vers midi, nous filons 7/8 nœuds avec deux ris et un petit bout de génois encore dehors.
Ç a, c'est le bon côté des choses; l'autre c'est que si le vent vient par notre travers, la mer aussi. Et 30 nœuds de vents, ça la creuse la mer…
Pendant une bonne vingtaine d’heures, Getaway va ainsi débouler dans le golfe de Papouasie, secoué par les lames, "submergé" de temps en temps par les plus fortes, rincé régulièrement par les grains qu'on croise.
Le rythme à bord est au "grignotage - sieste- soupe – récupération"... Au matin, à l'approche du détroit, nous avons parcouru 172 milles en 24 heures… Notre meilleure performance enregistrée à ce jour!

Au petit matin, passé le phare de Bramble Cay, nous virons vers le Sud Ouest dans le chenal d'approche du détroit où nous trouvons rapidement l'abri des premiers îlots de la grande barrière de corail.
La mer y est plus plate, mais le vent toujours assez fort nous arrive maintenant "dans le nez"... C'est donc au près serré que nous passerons toute la journée, jusqu'au joli petit îlot (Robert's islet) à l'abri duquel nous avons choisi de passer la nuit.
Comme il abritait déjà un chalutier on s'est dit que les pêcheurs étant des connaisseurs, l'endroit devait convenir.
Comme prévu, nous y serons régulièrement contactés par les patrouilles aériennes de "Coast guards" ...

Joran lui, s'est arrêté beaucoup plus tôt ce matin, à l'abri du premier îlot qu'il a rencontré.
Cette nuit, une vague s'est invitée, par l'arrière, sur le bateau et a rempli le cockpit, arrachant au passage la fermeture de la porte d'un coffre.
Comme ce coffre est en communication directe avec les fonds du bateau, ça a fait beaucoup d'eau dans lesdits fonds… Comme en plus, ce même coffre "abrite" les chargeurs et régulateurs de charge des batteries...
C'est carrément la m…
Alors ils rincent à l'eau douce, sèchent, épongent…
Pour l'heure, les panneaux solaires ne remplissent plus leur office et la morosité règne sur Joran…
Eux non plus n'ont pas de pot en ce moment…
Ils étaient encore indécis sur leur itinéraire: Descendre jusqu'à Darwin faire le plein de civilisation occidentale et réparer un peu ou monter directement avec nous vers les premières îles d'Indonésie?
Ajouté au guindeau irréparable, ce dernier avatar a tranché le débat: Ce sera Darwin.
Nos routes vont donc se séparer dans ce détroit, avant de converger - on l'espère - quelque part en Indonésie, dans quelques semaines…


Le bonheur était dans le détroit et regardait Getaway…

L'ai-je assez dit, ce détroit a souvent été peint de couleurs sombres dans les récits de nos grands anciens… Feu d'atterrissage (Bramble Cay) difficile à localiser, courants très violents qui entraînent sur les récifs quand il n'y a pas de vent, longueur du trajet d'approche qui obligeait les solitaires à de longues veilles contre le sommeil… (Le Toumelin raconte qu'à la barre il se piquait le bras de la pointe de son opinel pour se tenir éveillé…)
Maintenant, GPS, diesel et cartes électroniques rendent l'aventure moins impressionnante, mais le skipper a tout de même pensé à tout ça la nuit dernière quand il a fallu s'approcher à moins de 4 milles de Bramble Cay avant de pouvoir l'identifier, tant la mer était creuse et son feu pas évident…
On imagine ce que ça devait être avec l'estime pour seul guide, un sextant inutile sous les nuages … Et tous ces bancs de corail qu'on sait tout proches et qui vous guettent en ricanant…
Il faut avoir vécu ça pour SAVOIR que le corail ricane!
Et puis nous avons pu aussi adopter une tactique moins contraignante en nous arrêtant en route. Moins contraignante et très facile de nos jours car il y a beaucoup d'îlots à l'abri desquels s'arrêter, dans le détroit, quand on sait toujours EXACTEMENT où on se trouve…
Et donc pour nous, après le golfe de Papouasie, entrer dans Torres a surtout signifié une nuit calme, terminée par un petit déjeuner de rêve devant l'îlot idéal...

Nous passerons là une journée entière, histoire de profiter de l'endroit et de nous reposer un peu. Histoire aussi de préparer le passage du détroit proprement dit.


Mais pour que le bonheur dure, il faut que le courant passe!!!

En effet, pour éviter d'affronter des courants contraires qui atteignent couramment 7 à 8 nœuds au plus étroit du chenal, tous les guides conseillent de programmer son passage en consultant l'annuaire australien des marées, qui est un document INDISPENSABLE pour qui prétend naviguer dans ces eaux…
Indispensable? Pas sur Getaway en tous cas, car on n'y trouve rien de ce genre!
Nos logiciels de marées à nous, produisent des horaires très variés selon l'endroit que l'on choisit dans le détroit; et aucune indication sur le sens ni l'horaire relatif du courant…
Alors on tente de mettre la science à contribution en envoyant des mails aux deux "marins" les plus "greffés Internet" de notre connaissance (Marc et Laurent). Leurs réponses immédiates seront prudentes et circonstanciées, mais concordantes. Alors?
Alors, les bretelles ne nuisent jamais au port de la ceinture!
Elles se présenteront, les bretelles, sous la forme d'un gros cargo qui remonte le détroit en fin de soirée.
Interpellé en VHF alors qu'il passe à proximité de Getaway, l'homme de quart nous donne – en anglais je crois - avec beaucoup de sérieux et de détails chiffrés - et surtout codés - les renseignements qu'il a compris que nous demandions…
Après l'avoir remercié, sans trop oser lui demander de répéter, l'amateur de "John Le Carré en VO" du bord analyse ce qu'il a noté "cabalistiquement" en catastrophe et traduit tout ça en langage clair pour la ci-devant béotienne qui l'observe bouche bée…
Associée à nos observations et aux horaires que nous ont confirmés nos correspondants Internet, cette traduction nous laisse penser qu'il faut passer Hammond Island d'Est en Ouest à marée descendante et que ce sera le cas demain vers midi.

Le Mardi 26 juillet on lève donc l'ancre vers 5h du matin car le passage délicat est à une cinquantaine de milles devant nous. Soleil beau, mer belle, bon plein avec un ris. Le bonheur continue… Les cinq nœuds de notre approche matinale monteront à plus de 12 quand nous doublerons Hammond Island, au plus fort du courant, dans "Prince of Wales Channel".
C'était bien le bon moment!

 


Changement d'univers… Au dessus de l’eau comme dessous…

 

Autres races, mœurs, langues, contacts…

C'est donc dans les meilleures conditions que nous entrerons en mer d'Arafura, - c'est un beau nom Arafura… Un nom qui fait rêver - en laissant Booby Island par notre travers en fin d'après midi.

Derrière, nous laissons les eaux du Pacifique Ouest où les profondeurs s'expriment le plus souvent en milliers de mètres pour entrer dans l'Est de l'océan Indien où elles ne dépasseront pas quelques dizaines de mètres sur les prochains 800 milles…

Mais derrière, nous laissons aussi les cultures mélanésienne et polynésienne du Pacifique plus ou moins teintées d'influences européennes - le plus souvent anglo-saxonnes - pour celles de l'Asie du Sud Est, en commençant par celle d'Indonésie, qui nous paraissent beaucoup plus étrangères…
Le christianisme mêlé d'animisme des îles, pour l'Islam et le Bouddhisme… Bref, nous nous sentons à la porte de grands dépaysements…

Avec un vent assez soutenu et sur une mer quelquefois un peu "sèche", nous mettrons six jours pour atteindre notre première escale indonésienne. Navigation vent arrière sans grande histoire; si l'on excepte les quelques chalutiers et feux de filets, croisés la nuit sur la route…
Les îles oubliées…

Notre atterrissage en Indonésie aura lieu à Saumlaki sur Pulau Yamdena, qui est l'ile principale des PP Tanimbar - En Indonésien île se dit pulau et archipel pulau pulau...
Les PP Tanimbar, avec deux ou trois autres petits archipels voisins forment la partie sud est des Moluques. Situés loin à l'extrême Est du pays (si l'on excepte l'Irian Jaya), ils aiment à se baptiser " Forgotten islands" (in english in the texte).

Voila donc où nous sommes arrivés ce dimanche 31 juillet 2005, que peu de gens fréquentent encore.
Les autorités locales tentent bien d'attirer ici un peu de tourisme mais c'est loin de tout, les Tanimbar…
Les plus proches voisins sont les australiens de Darwin, à quelques 300 milles au Sud, qui organisent une course-croisière tous les ans, pour venir jusqu'ici.
Nous manquerons de peu la cuvée 2005: Ce matin lors de notre approche, nous avons vu s'éloigner la vingtaine de voiliers qui participaient à la régate de cette année et qui venaient de passer une bonne semaine à Saumlaki.

 

Scène du quotidien de l’administration indonésienne.

Le lendemain de notre arrivée nous recevons, dès 8h, la visite d'un beau jeune homme en chemise blanche et pantalon noir impeccables, façon officiel…
Dans un anglais très approximatif, Mathias - c'est son nom - se présente comme travaillant pour les Douanes et nous informe que nous sommes attendus par son administration pour faire les formalités d'entrée.
Grand prince, il accepte de nous laisser finir notre petit déjeuner avant de nous emmener jusqu'au quai dans la pirogue taxi qui le transporte et qu'il nous demandera de payer…
Arrivés au bureau, il est un peu déçu (nous aussi?) de constater que personne n'est là pour nous attendre. (On a manifestement envoyé le petit jeune au turbin sans se préoccuper de se lever plus tôt pour autant…)
Nous nous installons donc en position d'attente pendant que Mathias part en moto chercher ses collègues.
Une petite demi heure plus tard il revient en compagnie de deux officiels "kakiverdâtres"… (C'est la couleur d'uniformes la plus immonde qu'on ait vue depuis 7 ans…).
Palabres en Bahasa indonesia - qui est la langue du pays - Mathias servant d'interprète…
Nos interlocuteurs commencent vite à se dandiner en tortillant leur casquette, on sent qu'il y a un os quelque part…
Transfert dans un autre bureau, devant un nouvel "officiel" qui semble plus supérieur…
Il nous est présenté comme le "head office" qui vient d'Ambon, la capitale régionale - Sale gueule, butée, supérieure…
On repart dans un dialogue traduit par Mathias:
- Vous devez faire votre entrée à Ambon… Pas ici… Ici ce n'est pas un port d'entrée officiel!
-Ah… And so what?
-Alors… Vous ne pouvez pas rester ici… Il faut aller à Ambon… (Il faut savoir qu'Ambon est à plus de 300 milles dans le nord et pas du tout sur notre route…)
-Ah… Mais on nous a dit qu'avec un "cruising permit" on pouvait s'arrêter en route , jusqu'au premier port d'entrée rencontré, qui pour nous sera Bali.
- Non non, il faut aller à Ambon… C'est la règle, vous comprenez?
-Oui oui... On sait ce que c'est qu'une règle...
On demande alors à Mathias pourquoi ce gugus si officiel d'Ambon est là?
- C'était pour faire les entrées des bateaux du rallye….
-Ah… Et nous, il ne peut pas nous tamponner nos papiers, puisqu'il est là?
- Non, ce n'est pas la règle… Le rallye était une exception. La règle c’est d’aller à Ambon… Enfin, le "Head office" dit qu'il veut bien faire quelque chose pour vous rendre service…
Mais il y aurait un "fee" à payer (prix, taxe, pot de vin…)…
-Ah… Et c'est combien ce fee?
Conciliabules l'air entendu et grave.
-Le fee? Vous savez, ce n'est pas la règle, vous comprenez bien?
50 fois au moins on nous rappellera que ce n'est pas la règle… Et donc qu'un fee est nécessaire… Pot de vin, soit, mais enveloppé dans le papier nettoyant de la règle. Si on n'était pas un peu excédé, on en rigolerait, mais ce serait sans doute mal pris; et vu leur tronche butée, ce n'est ni l'endroit ni le moment.
-Alors, c’est combien ce fee?
Le "Head office" finit par lâcher:
- 100 dollars US
Là, le skipper s'étrangle et éructe…
- Non mais ça va pas!!! J'ai déjà payé deux visas et un cruising permit hors de prix… Et maintenant vous nous demandez 100 dollars… Pour rien!!! Là c'est trop… Si c'est ça on part tout de suite vers Bali. Je n'irai pas à Ambon…
Sourire de l'autre...
- C'est la règle… Vous dites que c'est trop cher… Mais vous accepteriez un fee de combien?
Grommellements du skipper.
- Je ne sais pas moi… 50 dollars me paraissent un maximum… - Immédiatement, il se mord la langue: "Pourquoi n'ai je pas proposé 10 dollars... ou même 20 ???"
Conciliabule de tous les participants, le Head office consulte ses acolytes du regard et tout le monde opine du chef…
-OK pour 50 dollars nous dit le chef.
Et alors là, subitement, tout se dégèle. Les formulaires sortent des tiroirs, se remplissent à toute vitesse, se tamponnent bruyamment et dix minutes après, toutes formalités accomplies, nous ressortons respirer l'air pur du large
On apprendra plus tard, par la rumeur locale, que ce Head office a bien été envoyé ici à l'occasion du rallye mais qu'il était en fait détaché pour quatre mois… Nous avons donc payé le beurre des épinards.
D'autres bateaux, rencontrés par la suite, rapporteront les mêmes déboires, avec des "fees" très variables.

 


Un indien dans la ville

Seuls deux bateaux dissidents s'attardent encore dans le port, ce qui nous laisse une place convenable pour choisir où mouiller notre ancre. Nous le ferons juste en face d'un hôtel- restaurant chinois avec terrasse sur l'eau, qui a servi de "yacht club" aux bateaux du rallye. C'est un avantage incontestable. Il est bien rôdé, fait ça très bien et ses hôtes sont serviables et courtois.
La petite ville de Saumlaki s'étend le long d'une rue très active, alternant "chinois", quincailleries, et autres boutiques débordantes mais à l'offre souvent difficilement identifiable.
Y trouver de la margarine, par exemple, fut un exercice d'investigation intéressant!
Le marché de frais, un peu destroy, est situé sur le port. On y trouve de tout et même de bons petits maquereaux. Le spectacle du port, quand embarquent les passagers des ferry inter-îles est assez spectaculaire... Fouillis de gens, animaux, marchandises...
Quelques petits restaurants sont bons et pas chers, avec une cuisine variée et relevée.

Mais pour pouvoir accéder à tout ça, vous devez d'abord vous procurer de l'argent local. Et ce n'est pas évident... La seule banque présente à Saumlaki ne change pas de devises, ni évidemment n'accepte la carte VISA. On nous renseigne sur un chinois qui changerait des devises à un taux acceptable.
C'est donc dans une "quincaillerie – épicerie - produits de beauté" que nous échangerons une centaine de dollars contre plusieurs millions de roupies indonésiennes…
De l'art à la louche

A côté du marché, se trouve le départ des "bemos" qui sont une sorte de taxis collectifs desservant toute l'île. On en profitera pour faire une expédition à Tumbur, village réputé pour ses sculpteurs et ses statuettes en bois.
Nous y découvrirons une agglomération aux rues bien ratissées, bordées de jardinets clôturés de bambou... mais nous ne verrons pas grand-chose de la production de sculptures.
Il semble que des "expositions" s'organisent quand un arrivage de touristes est annoncé, mais entre temps, quand on arrive isolés comme nous, il n'y a pas grand-chose à voir. Nous trouverons bien quelques jolies statuettes à acheter mais nous serons quand même un peu déçus.

Peut être aurions nous pu, comme cette australienne que nous avons rencontrée, faire produire par un artiste local, marquées au nom de leur bateau, une douzaine de copies en bois des îles d'un bête couvert à salade en plastique, apporté - tout exprès? - d'Australie… Pour offrir aux amis, au retour? Pour la noblesse du matériau?

 

Les lois de l’hospitalité

Nous parcourrons le village, accompagnés par un jeune homme qui s'est auto proclamé notre guide dès notre descente du bemo.
Il nous emmène d'abord nous présenter au chef du village, que nous trouvons en pleine réunion avec les sous chefs assemblés; nous sommes quand même un peu intimidés… Remplissage du registre-livre d'or, présent du paquet de cigarettes (ne pas oublier le paquet de cigarettes!!!), quelques phrases de bienvenue,… puis ils retournent à leur débat et nous à notre visite du village.
Notre guide, qui ne parait pas savoir grand-chose du "carving", nous invite par contre à visiter sa famille.
Nous y rencontrons son père, fabricant de toits traditionnels végétaux, qui nous prie de nous asseoir quelques minutes, le temps de nous offrir un verre d'eau. Peu de phrases, beaucoup de sourires…
Le fils est très fier de la dextérité et de l'hospitalité de son père…

 

L’avenir sera-t-il au Plastique?

Au hasard des ruelles, nous assisterons à une scène qui nous ramènera 40 ans en arrière dans les campagnes bretonnes:

Attirés par un attroupement et un bruit continuel de métal frappé, nous nous approchons de la cour d'une maison où un groupe de jeunes gens est occupé à compacter, à grands coups de masses, un tas de vieux objets en métal.
Tout autour, les habitants du village se pressent, chargés de leurs vieux récipients cabossés (alu, fer..) pour les
é changer contre des bassines en plastique dont un assortiment, de toutes les tailles, trône au milieu de la cour.

Ces jeunes gens ne sont manifestement pas du village et font de la récupération de métaux...

Notre guide nous apprendra que ce sont des Javanais. N'a t on pas senti un léger mépris un peu agressif accentuer le mot "javanais"?
Nous en croiserons quelques autres, colportant des marchandises diverses au hasard des rues.
Un rien condescendants nous a-t-il semblé, ces petits gars de la grande ville…
Alors les oubliés des îles lointaines le leur rendent bien.

La longue traversée du Nusa Tenggara (les petites îles de la Sonde)

Le 6 août on repart vers l'ouest, sans trop savoir pour où…

Devant nous s'étendent sur plus de 1000 milles, les centaines d’îles et îlots formant la province indonésienne du Nusa Tenggara, que nous allons traverser avant d'arriver à Bali.
Une route semée de possibilités de mouillages où nous pourrons découvrir l'Indonésie rurale maritime.

 

Soirée télé à Adonara…

Notre première étape sera quand même assez longue.
Evitant le Sud de Wetar, trop proche du Timor oriental au goût de la marine indonésienne (ce qui rend ses patrouilles nerveuses), nous traverserons la mer d'Alor, remuante, croisée, hachée… avant de songer à nous reposer à Adonara, 472 milles et 4 jours plus tard.
Ça se situe dans les îles Solor, un groupe de confettis juste au nord de Timor.
Une nuit à l'abri d'une barrière de corail, devant le cap Magawatun, pour bien dormir, se baigner, se relaxer.
Nous ne nous attarderons pas car nous voisinons d'un peu trop près avec des fermes piscicoles.

Le lendemain ce sera Sagu Bay, tout près sur la même île.
Une baie profonde, dont la partie abritée est déjà occupée par quelques bateaux de pêche au repos, autour desquels nous cherchons le mouillage "idéal".
L'équipage très attentif d'un des bateaux nous envoie plein de signes "sémaphoriques"… Pour nous guider?
Là.. Pas ici, non… Plus près… Encore… Ouiiii, là!!
On obéit et on se retrouve presque collé à leur bateau…
(Un autre voilier arrivera ensuite, qui mouillera pas loin, sans que quiconque lui dise rien???)
Un peu plus tard, on a cru comprendre: dès notre arrivée, les marins pêcheurs désoeuvrés se sont assis sur leur pont et nous ont observés jusqu'au coucher du soleil!
On était leur programme télé du jour.

 

Bricolage bucolique à Flores

Pour le lendemain, nous avons identifié, à une quarantaine de milles, un mouillage qui parait sympa au nord est de l'île voisine, Florès.
Notre approche en fin d'après midi, aidée du spinnaker d'acier, nous mettra en compétition pour la place avec trois autres voiliers…
Du pas vu depuis longtemps.
Il est vrai qu'on commence à croiser la route des migrants qui ont choisi de passer par l'Australie…
On avait évité ce trafic là, tout au long de notre trajet par les Salomon et la Papouasie mais les meilleures choses ont une fin…

Heureusement, le mouillage est superbe…
Dans un site volcanique et complètement sauvage… Des eaux claires et le grand calme…

Pas de village en vue; on se demande d'où viennent les quelques pirogues qui passent par là, pour pêcher ou plus souvent pour aller remplir quelques bidons d'eau à une source de l'intérieur. Il n'est même pas évident que cette eau soit potable…
L'approvisionnement en eau est souvent un problème le long de ces côtes volcaniques et les efforts que doivent fournir les habitants pour avoir de quoi boire nous paraissent impressionnants, à nous qui avons essentiellement vécu à l'ombre de châteaux d'eau…

On joue les prolongations, c'est trop beau!!! On restera là quatre jours…
Le capitaine en profitera pour s'attaquer au nettoyage–graissage des winches de Getaway, dont certains ont montré de la mauvaise volonté ces derniers jours. Vu l'état de quelques uns, il était plus que temps…
Bien reposés que nous sommes, nous projetons à partir de là, un saut de 140 milles. Nous souhaitions éviter l'arrêt "touristique" à Maumere, où se rendaient tous nos voisins de mouillage. Je crois que nous avons eu tort. C'est un point de départ pour la visite d'un très joli site de montagne où coexistent trois lacs de couleurs différentes. Il parait que c'est vraiment très beau…
Bah, on ne peut pas aller partout…

 

Bain de foule au village.

Nous, nous avons choisi d'aller à Telok Linggeh (Telok veut dire Baie en parler local.)
Ou plutôt, nous avons été contents de trouver là un mouillage convenable quand est venu le matin; après une nuit plutôt éprouvante, brassés que nous avons été par une mer hachée…

Dans l'est de cette grande baie, on trouve un abri parfait derrière un plateau de corail affleurant qui borde la côte devant un village de pêcheurs.
É videmment, comme le village est tout proche, nous recevons instantanément la visite habituelle de gamins en pirogue.
Ils restent là une bonne heure, à nous contempler, agrippés au plat bord de Getaway.
Au début on trouve ça bizarre et puis on s'y fait…
On est leur attraction gratuite… Quoique ça se termine toujours par bonbons, cigarettes, casquettes et stylos, quand on les envoie en quête de fruits ou de légumes. Ils adorent exercer leurs notions d'anglais et ils sont vraiment mignons.
Parmi ces gamins se mêlent parfois quelques plus grands qui viennent aussi voir un peu…

L'un d'eux, Alex, le plus bavard, est resté causer longtemps, avant de nous inviter à visiter son village, le lendemain.
Chose promise, chose due, le lendemain matin nous débarquons sur la plage du village, devant une foule d'enfants et de mères riants et excités.
Alex nous guide le long de la "rue" principale, sablonneuse et ombragée de cocotiers, jusque devant une case ou nous attendent les mâles de sa famille.
Nous sommes conviés à nous asseoir devant la hutte sur deux chaises en plastique disposées pour nous autour d'une table du même métal.
Les femmes de la famille restent d'abord dans la hutte mais rapidement une bonne partie du village (hommes, femmes, enfants) s'attroupe en demi cercle autour de nous. Debout… accroupis…
L'attraction du jour c'est nous… Très paradoxalement on s'y fait bien, mais il ne faut pas que ça dure trop longtemps!
On fait circuler le paquet de cigarettes parmi les hommes et on nous offre des cocos fraîches à boire.

Après une demi heure de "palabres" entrecoupés de longs silences, on part visiter le village, guidés par Alex et suivis d'une meute d'enfants joueurs…
Peut être 200 habitants. Beaucoup de sècheries d'algues et de concombres de mer au soleil; sous les cocotiers des pêcheurs qui préparent leurs lignes; une fabrique de pirogues… Même une hutte épicerie où on achète des maquereaux et des œufs… Au prix de l'or local… Mais bon, il faut bien que tout le monde vive…

On a cru sentir dans l'attitude d'Alex, la fierté de nous avoir invités chez lui, devant le village réuni.
Cette notion d'honneur à recevoir des étrangers chez soi est une caractéristique importante de la culture locale, Nous l'avons déjà observé à Tumbur, sur Saumlaki. Ca se fait rare de par le monde et quand ça existe encore c'est très émouvant. On retourne au bateau, contents.
Nous resterons quelques jours et nous continuerons à avoir la visite régulière de piroguiers de passage. Chaque fois, ils restent un long moment près du bateau qu'ils observent, plus ou moins silencieux.
Ils sont évidemment et normalement curieux: nous sommes des gens bien étranges pour eux, dans notre maison flottante. Installée dans son hamac, à l'arrière, Anyvonne continue ses occupations, après quelques courtoisies échangées et sourires esquissés.

Ce scénario se reproduira régulièrement quand nous mouillerons à proximité de villages côtiers, le long de Flores.
Certains voileux se disent importunés, voire choqués, par ces visites de pirogues "indigènes" qu'ils trouvent collantes et envahissantes. Quelquefois même dangereuses… (cf nos visiteurs nocturnes, amateurs d'annexes, de Honiara…). Les mêmes loueront plus tard la Malaisie et la Thaïlande où on ne vous "embête" plus.
Evidemment, comme on le constate maintenant qu'on y est, on n'y reçoit plus guère de visites, on y est le plus souvent en marina et le tourisme bat son plein… Il y a moins d'importuns mais moins de charme aussi. Moins de rencontres chaleureuses…
Et puis quoi, on est venu pour voir de l'exotisme, non? Eh bien nous sommes largement aussi exotiques pour eux, qu'ils le sont pour nous!

 

Où on rejoint les itinéraires du tourisme de masse…

En quittant cet univers de villages de pêcheurs pour Labuan Bajo et la région de Komodo, nous avons quitté l'univers de l'errance bucolique pour celui du tourisme intensif…


Labuan Bajo

C’est un gros bourg et le port principal de la côte ouest de Flores.
En plus d'être la seule porte d'accès maritime pour visiter l'île, sa proximité de Komodo et Rinca en fait un point de départ très fréquenté pour l'observation des varans. Le détroit qui sépare Flores de Sumbaya et héberge ces deux îles parmi une centaine d'îlots, est absolument superbe. - Dommage qu'on y trouve aussi peu de mouillages praticables, tant les côtes sont accores et les fonds importants -On comprend aisément que les touristes pullulent par ici.

La belle rade bien protégée de Labuan Bajo abrite donc en permanence une trentaine de voiliers de passage et autant de bateaux de tourisme. Quelquefois un paquebot.
Cela attire évidemment les marchands de "souvenirs"… La rade et les mouillages alentour sont donc patrouillés en permanence par une flotille de pirogues "vendeuses" assez collantes - Là on est d'accord sur l'adjectif - qui tiennent absolument à vous fourguer des kilos de statuettes en bois et des kilomètres de colliers de perles noires… Dur dur à déscotcher.

Nous ne ferons qu'un court arrêt à Labuan Bajo. Juste le temps d'un aller retour en bus jusqu'au marché permanent, très bien achalandé, pour faire les provisions nécessaires à une semaine de robinsonnade dans les îles proches. Très vite nous fuyons les fureurs de la "ville".

 

Mais où la masse des varans nous fuira…

En effet le but du jeu qui se joue ici est de voir… De ses yeux voir… Les VARANS!!!
Pour pouvoir prendre des photos et aller le raconter aux copains quand on rentre chez soi???
Pour jouer il faut soit prendre une navette de tourisme et aller visiter, sur Rinca ou Komodo, le parc national où on gave les varans; soit, si on a un bateau, aller mouiller à l'abri des plages de ces mêmes îles et attendre l'aubaine... Nous avons choisi la deuxième option et nous y allons de ce pas!

On s'arrêtera assez vite en fait: Le courant entre Florès et Rinca est rapide et contrariant… Plus de 7 nœuds dans le nez alors que nous tentons de passer le Selat Linta. - Détroit se dit
Selat par ici - Moteur à fond, filant 7 nœuds (ce qui n'est pas courant) sur un bouillonnement de cocotte minute en surpression, Getaway recule sur le paysage... On fait donc demi tour pour se ramasser dans un creux et attendre la renverse qui doit intervenir dans trois heures!
Même dans ce fond de crique paumé, une pirogue "souvenirs- pacotille" arrive tout de même à nous aborder… En fait ils attendent comme nous la renverse pour rentrer chez eux sur Komodo, de l'autre côté du Selat…
Ceux là doivent mieux savoir y faire, ou alors on s'emm… mais d'emblée on les trouve sympas. Alors ils ont droit de boire un coup et… de nous vendre quelques colliers de keshis (perles noires naturelles).

A l'heure dite, quand la marée le veut bien, on repart pour mouiller rapidement dans une petite crique peinarde, bien abritée, entourée de douces collines. Sans village, sans visites… Sans rien en fait! Même pas de varans… Trois jours nous resterons là, à guetter plus ou moins le paysage, sans que sœur Anne ne voie jamais rien venir.

Nous serons rejoints là par Joran et Smac, nos amis suisses qui arrivent d'Australie. Ils ont les yeux qui brillent d'images de varans… Ils nous raconteront que dans une crique située à quelques milles au sud, ils en ont vu plein, de tout près et tous les jours… Et nous pendant ce temps, pas le début de la queue d'un!!!

Nous tenterons encore notre chance à Komodo en passant, mais le sort s'acharne contre nous et les varans nous boudent… Tant pis, on racontera nos aventures en utilisant les photos de Joran…
(En fait, on en verra enfin quelques uns, plus tard, en Malaisie, traînant leur queue près de la piscine d'une marina…)


Fin de parcours bucolique, jusqu'à Bali.

Après ce rendez vous raté avec les varans, nous quittons Flores pour longer l'île de Sumbawa. Aride, volcanique, peu peuplée, de confession exclusivement musulmane, cette île parait un peu austère. On s'arrêtera devant sa capitale, Bima, pour y faire le marché…
C'est bizarre, on doit donner l'impression de passer notre vie à chercher les marchés… MAIS il s'en passe des jours où on ne trouve rien sur la route!
On trouve de tout au marché de Bima; sauf du porc évidemment… Pour la viande, on se rabat sur le buffle car on écarte le poulet, exposé éventré et qu'on devine sous les mouches… Certains se déclarent brusquement végétariens…

En repartant, nous avons pu saluer au passage le volcan Tambora (3000m) que nous avons deviné dans les nuages: belle bête, et dangereuse avec ça; qui tousse de temps en temps (92000 morts en 1815).

Les 150 milles suivants nous amèneront dans les eaux plus claires et coralliennes de Lombok où se rêvent des vacances idylliques dans des décors de carte postale. Juste avant Bali, les Gili Islands offrent tout ça avec une densité de fréquentation très acceptable. C'est vrai que ce n'était plus la pleine saison.
Mouillés devant Gili Air, nous profiterons pendant deux jours d'un mouillage de lagon qui nous préparera mal aux eaux boueuses de la marina de Benoa…

 

Bali, la grande Canarie du Pacifique…

Ca y est, nous sommes arrivés à Bali… Eh bien maintenant on peut comparer: c'est clair, il vaut mieux rester aux Gili islands.
L'arrivée sur l'île par le sud, vers la marina de Benoa , est comparable à un atterrissage sur n'importe quelle station balnéaire de la Costa Brava espagnole, des Baléares ou des Canaries: ski, scooters, parachutes, pelles à feu… Dans tous les sens… Partout… C'est l'enfer! La passe d'entrée dans la rade de Benoa en clapote de rage, aussi fort que le raz de sein…

A notre arrivée, histoire de nous achever le moral, pas de place à la marina et très peu au mouillage, lequel ne tient pas ou découvre largement… Il faut attendre…
Seul le bar-resto sauve les meubles.
On finira par trouver une place boueuse à la marina où on restera trois semaines. Il faut bien s'y faire puisqu'on veut y laisser Getaway en sécurité pour aller visiter l'intérieur de Bali.

Après la marina,, notre premier contact avec Bali a été Kuta: C'est la station mythique du surf, de la planche à voile et des folles vacances pour jeunes australiens…
Ce n'est pas nous qui pouvons jeter la pierre, vu ce qu'on a fait de nos côtes européennes, mais il y a ici un côté systématisation qui en fait une sorte d'usine surréaliste… Même après avoir vu Los Christianos, sur Teneriffe, aux Canaries, c'est ahurissant… Là bas au moins, on peut encore trouver une quincaillerie traditionnelle, recroquevillée entre deux fast food, près de la plage… Ici, rien n'existe qui ne soit pas fait pour soutirer des dollars aux vacanciers australiens…
On y est aussi isolé de Bali qu'on peut l'être de Los Angeles quand on visite une attraction de Disneyland…
Mais bon, les jeunes australiens ont l'air de trouver ça à leur goût…

Disons le clairement: Bali n'est que l'ombre de ce que nous espérions… Notre tête, remplie des souvenirs des copains – Qui ne sont plus très jeunes et ont des souvenirs qui datent… Disons 20 ans… - on en attendait sans doute trop.
Bref ça a dû changer pas mal, pendant toutes ces années… Et sûrement pas en bien…

 

Qui abrite quand même les paysages photogéniques qui ont fait ses plus belles affiches…

Mais voyons tout de même un peu ce qui nous a plu, qui se situe plus à l'intérieur et qu’une location de voiture pour six personnes pendant cinq jours nous a permis de découvrir:

Le plus beau d’abord, qui fait la réputation des paysages de Bali: Les rizières en terrasses, inondées, incroyablement photogéniques sous le soleil
rasant. Comme sur les cartes postales.
Absolument extraordinaire…

Le village d'Ubud aussi, qui abrite peintres, sculpteurs, artisans divers, temples et cérémonies balinais… C'est agréable parce que moins agressif que la côte sud.
Bien sûr, les rues ne sont bordées que de boutiques, de bars, de restaurants et les touristes sont partout, mais l'ambiance vacances n'est pas trop pesante.
Les hôtels de luxe (qui restent assez peu chers pour les occidentaux) étalent leurs bungalows dans des jardins luxuriants en terrasses, avec piscine et vue directe sur les rizières alentour, douces au regard… Des petits coins de paradis…

Plus au Nord, il y a de jolis lacs de montagne et enfin, pas mal de très belles plages, quasi désertes, sur la côte nord…

Java… Au cœur de l'empire Indonésien

A la fin de notre périple routier balinais, Joran nous a abandonnés pour rentrer travailler en Suisse (il y a des gens bizarres quand même).

Avant de quitter la région, nous voulons encore aller jeter un coup d'œil sur Java.
Nous ne souhaitons pas visiter Jakarta, capitale créée par les Hollandais au 16ème siècle , sous le nom de Batavia, pour le commerce des épices; et qui est maintenant une mégapole de luxe et de misère.
Nous aimerions plutôt voir Yogyakarta - Les ceussses qui "savent" disent familièrement Yogya - qui a la réputation d'être le cœur intellectuel de l'île et dont une petite heure d'avion nous sépare.
Nous entreprenons ce voyage d'une semaine avec l'équipage de Smac: Christina et Alain; et atterrissons à Yogya le 17 septembre .

Des royaumes bouddhiques et hindouistes se sont d'abord partagés Java et plus généralement les îles de la Sonde. A la fin du 16ème siècle l'islam étend sa puissance vers l'est, jusqu'à Java où un sultan installe un royaume actif et construit un grand palais à Yogya. Ses successeurs s'opposeront plus tard à l'ingérence hollandaise et Yogya restera pour les javanais l'emblème de la résistance à l'occupant.

Pour notre part, nous découvrirons une ville très étendue, populeuse et industrieuse. C'est aussi une ville sans gratte ciel ni quartier moderne des affaires… qui a gardé son caractère traditionnel.
Nous la parcourrons en Becak (sorte de cyclo-pousse) qui permet d'observer de TRES PRES le spectacle de la rue et active vigoureusement la production d'adrénaline de ses passagers…
Nous irons ainsi visiter le palais, faire le tour des boutiques de batik (Yogya est la capitale du Batik traditionnel, coton ou soie) et généralement, remplir nos sacs de souvenirs…

C'est près d'ici que les royaumes préislamiques ont construit les monuments extraordinaires de Borobudur et Prambanan.

Borobudur

C'est le plus grand monument bouddhique du monde.
Une sorte de pyramide composée de 9 étages, qui mesure 123 mètres de côté et plus de 34 de haut…
Elle a été construite sur une colline fertile, au confluent de deux vallées, entre la fin du 8ème et le milieu du 9ème siècle.
Il est intéressant de noter qu'à cette époque, il n'y avait encore aucune cathédrale en France, que la construction d'Angkor n'avait pas commencé et que l'empire Maya était sur son déclin.

La pyramide est bâtie de blocs de pierre volcanique tendre, assemblés sans mortier.
Pour contrecarrer l'effet des pluies diluviennes du coin, un ingénieux système d'écoulement des eaux avait été imaginé, qui s'est dégradé peu à peu et a permis les infiltrations, contribuant à disloquer les pierres. Si nous ajoutons à cela les guerres, les tremblements de terre et le volcan proche, on imaginera aisément l'état des lieux au 18ème quand des spécialistes y arrivent envoyés par les colonisateurs.
Un programme de restauration sera entrepris sous la maîtrise d'ouvrage de l'UNESCO, qui se terminera en 1983.
Borobudur n'est ni un temple ni un sanctuaire. Certains archéologues pensent que c'était une "université". D'autres experts le comparent à un "mandala de pierre", c'est à dire un monument sacré destiné à favoriser l'ascension spirituelle du croyant: "Borobudur propose une ascension physique et spirituelle d'abord labyrinthique, puis un accès de plus en plus facile à mesure qu'on gravit les terrasses et qu'on se débarrasse spirituellement de ses obstacles personnels, jusqu'à l'élévation ultime, symbolisée par le stûpa central situé tout en haut. Le parcours, dans le sens des aiguilles d'une montre, des 6 premières terrasses vous fait passer les sphères des Désirs, les trois suivantes celles des Apparences (toutes causes des souffrances humaines), pour atteindre enfin le dernier niveau représentant la sphère du Vide, du Rien, du Nirvâna."
Borobudur illustrerait ainsi les dix degrés de transmutation humaine nécessaires pour passer de la réalité au Nirvâna.
(Citations extraites du guide du routard 2005)


Prambanan

Ici nous trouvons l'univers hindouiste plus imagé, avec plein de sculptures représentant ses grandes divinités et ses cohortes de sous divinités, de personnages mythiques, joyeux ou féroces. Brahma, Vishnou, Civa, Ganesh. Ce dernier est notre préféré, voici son histoire:
Il est fils de Civa et de Parvati. Civa rentrant de voyage, n'a pas reconnu son grand fils, l'a pris pour l'amant de sa femme, et lui a coupé la tête. Se rendant compte de son erreur, il veut réparer, et lui donne alors une autre tête, la première venue, qui était celle d'un éléphant…
Ganesh, sage, bienveillant et magnanime, a donc une tête d'éléphant et quatre mains souvent appuyées sur son ventre "bien rond".
Il est devenu celui qui enlève les obstacles et garantit le succès. Toucher le ventre d'une de ses représentations revient à vous assurer la réussite de vos entreprises!
Ainsi, les ventres des statues de Ganesh sont régulièrement brillants et polis par toutes ces mains qui viennent les frotter.


Visite à la planète de singes.

Au retour de Yogyakarta, nous nous attelons sans délai aux appros nécessaires pour une quinzaine de jours de traversée et, avec SMAC, mettons vite le cap vers la sortie de la marina… Ouf, après plus d'un mois, à nouveau en mer…

Alors que nous nous apprêtions à sortir d'Indonésie vers le nord, la Malaisie et la Thailande; nous avons appris l'existence près de notre route, d'une intéressante réserve d'orangs-outangs installée au sud de Bornéo.
Nos guides n'en disent mot, mais les récits de nos prédécesseurs récents nous ont décidés à faire le détour. C'est donc vers Bornéo que nous tournons nos étraves.

Un timing de départ judicieux nous permet d'éviter le vigoureux courant contraire du Selat Lombok et à la tombée du jour, nous sommes au nord de Bali pour entamer la traversée de la mer de Java.
470 milles et quatre jours de navigation plus tard, nous arrivons le 1er octobre devant la côte sud de Bornéo. Encore une navigation sans vraiment d'histoire…
Nous atterrissons en milieu de journée à Kumaï, une petite ville installée à une dizaine de milles en amont de l'embouchure, sur la rive ouest de la rivière du même nom.


Ici, l'attraction est la visite aux Orangs-outangs.
Comme il est dit ailleurs, cet animal devient rare et l'espèce risque sa survie…
En 1986, la Dr. Birute Galdikas, une jeune scientifique américaine, expert mondiale des orangs-outangs, a crée une fondation pour contribuer à la survie de l'espèce. Établi près de Kumaï, cet organisme sauve, nourrit, soigne des animaux affaiblis, avant de les remettre en liberté; fait de la recherche en écologie, etc.
(Web: www.orangoutan.org.uk)
É videmment, la visite de cette fondation a donné lieu à l'organisation locale de son exploitation touristique
Dès notre arrivée, SMAC et Getaway sont abordés chacun par une pirogue qui vient offrir les services de son opérateur local. L'expédition, qui se fait sur un bateau de rivière, dure deux jours et une nuit.
Le contenu des prestations semble standard mais les prix se négocient… Aprement… Rapidement c'est notre piroguier qui l'emporte et rendez vous est pris pour un départ le lendemain 8 heures…


Bornean Queen …

A l'heure dite, notre "charter" vient nous chercher sur Getaway. Il y débarque aussi un garde qui restera veiller pendant notre absence.
Transbordant notre maigre bagage, nous rejoignons Christina et Alain pour découvrir notre nouvelle résidence. Capacité: 4 à 6 passagers, plus le skipper, le cuisinier et le guide... Une plateforme couverte à l'étage pour loger les passagers au dessus d'un RDC qui abrite moteur, bagages, cuisine et dépendances…
Sur l’arrière, une cabine à ciel ouvert abrite WC à évacuation directe et douche à la casserole d'eau de rivière, revigorante. Le bain direct dans la rivière est fortement déconseillé pour cause de crocodiles voraces...
Notre expédition débute par une longue remontée de rivière dans la forêt...
Confortablement installés au premier étage nous voyons notre bateau se frayer un chemin entre des rideaux de Palm-trees, fougères et pandanus qui enserrent le cours de la rivière.
Le calme ambiant n'est que rarement troublé par le passage d'une pirogue rapide qui dessert les camps d'orpailleurs "clandestins" situés loin en amont.
Notre attention est vite récompensée par l'observation de singes très bizarres: des "Proboscis" dont la particularité la plus visible est un énorme et long nez rouge! (Localement on les appelle: dutch monkeys… à cause de ce nez qui rappellerait celui des colons hollandais…)
On voit aussi beaucoup de macaques gris à longue queue nous observer avec curiosité.
A la mi journée, on nous arrête pour un déjeuner copieux de plats locaux variés, avant la visite du camp "Leaky".
Une petite marche dans la forêt nous emmène d'abord vers un "musée-centre d'information" puis vers le lieu de nourrissage des bêtes:
Les gardes déposent des régimes de bananes sur une grande plateforme surélevée où les singes viennent se servir, avant de repartir déguster dans les arbres.
Les grands mâles arrivent évidemment les premiers, puis viennent les petits accrochés à leurs mères…
Silencieux, nous les observons à quelques mètres.
Emouvant et intéressant…

Ce nourrissage n'a lieu que pendant la saison sèche, car le manque de fruits entraînerait les singes à s'attaquer aux cultures environnantes. En saison humide on les laisse trouver eux même leur nourriture.

Retour à notre bateau. Dîner aux chandelles, excellent et plein de charme… Installation des matelas, moustiquaires, et dodo.
Les cigales ont bien chanté cette nuit. Moins fort toutefois que nos deux ronfleurs préférés.

 

Rosemary's babies.


Le lendemain, visite d'un autre camp de "nourrissage". Au retour quelques Orangs-outangs nous raccompagnent jusqu'à la rivière, dont Rosemary, avec son petit dernier. Actuellement elle est aussi mère adoptive et aimante de trois autres bébés orphelins. Elle a l'air très gentille comme ça, mais il paraît qu'elle peut mordre très fort…

 

Orang-outangs dans le brouillard.


Notre dernière visite sera pour un camp de "rééducation":
Dans la nature les jeunes orangs-outangs restent longtemps très proches de leur mère. 7 ans pendant lesquels ils apprennent ce qui leur sera nécessaire pour vivre dans la foret parmi leurs semblables. Les jeunes qui deviennent orphelins de mère avant cet age ne survivent pas longtemps. Ici on tente l'expérience de les préparer à leur vie future, pour pouvoir les relâcher avec quelques chances de survie.
Nous y découvrons un jeune mâle de 14 mois en plein apprentissage de la varappe.
Il reçoit tous les jours une leçon d'une demi heure pendant laquelle une mère adoptive (Une jeune malaise habillée d'un marron proche de la robe des femelles) grimpe avec lui dans les arbres, l'aide à choisir ses prises, lui place doucement les mains, lui apprend à se balancer, se déplacer et surtout l'aide à ne pas tomber…
C'est très émouvant…
Le retour vers Getaway ressemblera à l'aller et nous rejoindrons notre home en fin d'après midi sous le regard des Dutch Monkeys…
Le surlendemain nous repartirons de Kumaï, après quelques courses de frais en ville; nous avons encore plus de 500 milles à parcourir avant de sortir d'Indonésie.

 

Du tourisme de masse aux marinas de luxe…

 

Notre vision à court terme est actuellement parasitée par Singapour: Nous n'avons pas une grosse envie d'y passer beaucoup de temps, ni même de nous y arrêter.
Ce n'est qu'une ville et en plus elle est réputée avoir une politique de gestion des boaties de passage un peu dissuasive: Peu de possibilités de mouillage autorisé, seulement une ou deux marinas très chères et sans doute très remplies…
Pourtant il semble que ce soit quand même un bon endroit où nous procurer ces pièces qui nous manquent tellement depuis les Salomon: Une annexe, une commande moteur,… Enfin ces choses qui nous sont si utiles et semblent totalement inconnues en Indonésie.
Sans compter les produits français dont regorgerait le Carrefour qui y est installé… Et puis la viande de porc…
On signale sur Batam, à une dizaine de milles au sud de Singapour, l'existence d'une marina très accueillante et pas chère. Associée aux ferries quotidiens qui relient Batam à Singapour, elle constituerait une alternative intéressante pour visiter Singapour.
Alors, va pour Batam!
Nous atteindrons l'archipel des Riau islands, dont fait partie l'île de Batam, après quatre jours de navigation sans vent…
Plus de 100 heures de moteur…
Juste un petit repos d'une journée sur une île du Selat Karimata et une dernière nuit de mouillage sauvage tout au sud des Riau avant d'entrer vers midi dans la marina de Batam.

Surprise: alors que le skipper craignait une marina surchargée où il n'avait pas réservé de place, nous découvrons un immense bassin, équipé de pontons quasiment vides… Juste deux ou trois bateaux locaux et autant de voiliers de passage comme nous.
L'environnement de la marina parait assez "confortable". De "jolies" maisons sont éparpillées dans la végétation sur les pentes abruptes qui entourent le bassin.
Près de l'eau, l'administration de la marina et un hôtel de luxe occupent de beaux bâtiments. L'hôtel abrite piscine, bar et restaurant que leur prix permet de fréquenter assidûment…
La marina elle même est assez bon marché aussi (de l'ordre de 7 à 8 euros par jour…)

Nous rencontrons ici, pour la première fois, un type d'endroit que nous retrouverons partout en Malaisie: Le complexe immobilier - hôtelier de luxe, associé à une marina moderne bien équipée…

Si la marina n'est pas très fréquentée, l'hôtel non plus et les maisons ou appartements qui les entourent paraissent peu occupés. Chaque fois, ce sera pareil. Quels sont donc les objectifs des investisseurs qui créent cela? Nous n'avons pas trouvé la clé…

Mais tant de luxe à portée de main ET de bourse, ça doit être le bonheur?

Oui, pour quelques temps… Mais on va s'ennuyer vite ici.
Tout ce que je viens de vous décrire est loin de tout. La ville la plus proche est à plus de 20 kilomètres.
Le ferry pour Singapour n'est pas si pratique et finalement assez cher.
Les autorités indonésiennes sont tatillonnes et leur visa "une entrée", qui doit être acheté à chaque passage, coûte non seulement assez cher (10 USD) mais surtout remplit à grande vitesse les pages de notre passeport…

Bref, après avoir épuisé les charmes de la piscine solitaire et du happy hour alcoolisé à Batam, on finira par aller tâter de Singapour directement sur Getaway.

Mais ça, c'est une autre histoire.
En tous cas, ce sera un autre numéro de cette gazette. Le prochain… Dans quelques mois