LA GAZETTE DE L'A.R.B
Anyvonne Restaurant Bar
 
Tenerife et Traversée des Canaries au Cap Vert - La traversée
N°5 - Janvier 1999
Après une séjour d'un mois à St Brieuc en octobre, nous revenons à La Goméra le dimanche ler Novembre. Après un gros mois à terre et surtout sans navigation depuis maintenant quasiment 2 mois et demi, le désir de mer et de route nous habite très fort.
Nous avons retrouvé notre bateau intact à San Sebastian de la Goméra, bien que très poussiéreux: Les effets des vents de sable sahariens qui déposent leurs bagages en passant sur ces îles. C'est ce qu'en France on appelle le " Foehn ". Un bon rinçage du bateau nous donne l'impression de gaspiller de l'eau douce, avec ce sentiment que  c'est la dernière fois avant longtemps.
Nous complétons les provisions qui avaient déjà été chargées avant notre départ pour la France par des vivres fraîches pour la traversée, et par un plein d'eau douce dans tous les réservoirs que nous pouvons trouver, soit environ 600 litres. Nous embarquons ici toute l'eau douce que nous consommerons pendant la traversée du Cap Vert jusqu'au Brésil. Enfin presque...En tous cas, le maximum, car on pense avoir pas mal de difficultés pour trouver de l'eau douce au Cap Vert,où nous pensons vivre avec un petit déssalinisateur. Ca apparaît un peu comme la ceinture et les bretelles, mais comme on dit en mer: " trop fort n'a jamais manqué...". 
Le bateau, comme nous, étant prêt dès le mardi soir, nous quittons La Goméra le mercredi 4 pour Los Christianos afin de passer une dernière soirée de fiesta avec toute l'équipe du Varadero. Nous en profitons pour compléter notre équipement d'un de ces caméscopes qui ici sont si bon marché, et qui nous permettra de rendre un peu plus vivantes nos relations de voyage. 

Jeudi 5 Novembre 1998, 12h30 TU.
Ca y est, nous partons au son de la corne de brume de Chris qui salue la sortie de ceux qui partent loin. (Et peut être, qui rendent crédibles à ceux qui restent leurs propres envies de départ, aussi...). Nous sommes partis avec l'idée d'une traversée au portant, donc avec des vents de Nord/Nord-Est de force raisonnable et qui devrait durer entre 5 et 6 Jours. Soit un peu plus de 800 Miles nautiques à la moyenne de 140 miles par 24 heures. 
Eh bien c'est mal parti!!! Le vent n'est pas au rendez-vous: quasi inexistant, le peu qu'il y a semble venir du Sud-Ouest... Et donc moteur pour commencer, avec la grand voile bordée pour appuyer le bateau et essayer de stabiliser un peu un roulis diabolique sur une mer d'huile, juste animée d'une petite houle d'Ouest. Vers la fin d'après midi, le vent " forcit " un peu - au moins force 2!!! - et toujours secteur Ouest. Comme on n'est pas sur une vedette, on coupe le moteur et on s'installe à la voile. Bon plein tribord amure, et on file au moins 2 noeuds! Lecture et farniente sur le pont, tout n'est pas que désagréable. 
Aujourd'hui, nous attaquons courageusement une phase A de régime Montignac. Ce midi, nous avons eu droit à un repas glucidique: Haricots/tomates/riz complet. Ce soir: rondelles de seiches (surgelées) poêlées, avec des poireaux, après un peu de tzatziki maison. 
Nous installons cette nuit un régime de quarts expérimental. Nous n'avons pas l'expérience de longues traversées à deux, et il nous faut trouver ce qui nous convient. Anyvonne se couche vers 21 heures et revient veiller de minuit à 2 heures. Gérard prendra de 2 à 4 et Anyvonne de 4 à 6. Cela fait un régime de quarts de 2 heures qui nous paraît bien un  peu haché. 
Ah! Cette nuit, à 23 Heures j'ai trouvé que nous n'avancions vraiment pas et, un peu impatient, j'ai voulu remettre un peu de moteur, contact et puis RIEN!!... PANNE DE DÉMARREUR!!... HORREUR!!... Décision est prise de remettre les investigations au matin. D'autant que pour accéder au démarreur, il faut déménager des caisses, les vélos, etc...etc...et que en plus, ça roule pas mal. 

Matin du 6 novembre. Radieux. 
Soleil et ciel bleu... Très peu de vent et donc de vitesse.(pour nos premières 24 heures nous aurons fait quelques 53 miles... Loin donc des 140 escomptées... Il va falloir s'installer dans la durée... Surtout si le moteur ne redémarre pas!!!) Mais tout n'est pas négatif: peu de vitesse, donc possibilité de bains!!! On se baigne donc l'un après l'autre, accrochés à l'échelle dans le sillage du bateau, et en traînant une boucle de bout, pour se rattraper au cas où.
Mais il faut bien revenir aux ennuis : déménagement de la cabine bâbord, lecture de la littérature spécialisée pour savoir comment est fichu un démarreur, et plongée dans le moteur avec le contrôleur universel à la main...Et là, surprise!!! Pour vérifier la tension aux bornes du démarreur, je demande à Anyvonne de mettre le contact et Plaf! voilà le démarreur qui tourne et le moteur aussi.... La panne était donc fugitive... Je n'aime pas ça et j'ai maintenant des doutes sur le solénoïde du démarreur qui était donc resté bloqué. Toutefois, je crains de démonter plus avant, et faute de rechange, de mettre en panne définitive quelque chose qui maintenant fonctionne bien. Enfin, pour le moment ça marche. Je consigne l'incident sur mon pense-bête d'entretien et passe à autre chose... 
Journée calme, lecture farniente. Le soir, on entame le curry de mouton avec aubergines et poivrons qu'Anyvonne avait préparé avant de partir hier matin. Régime, régime quand tu nous tiens!!!.... 
Pour les quarts, on a un peu de mal à s'arrêter sur une règle précise. Anyvonne se couche vers 20h, dors à 21h et se réveille à 22h. Gérard dort de 22h30 à 1h et prend la veille jusqu'à 6h. Il est temps qu'il dorme!!... Dans la nuit du 6 au 7, le vent s'est réinstallé au Nord-Est, mais toujours plutôt faible (5 à 6 noeuds). Le bateau avance un peu mieux (autour de 3 noeuds).

Matin du 7 novembre.
Petit déj' à 9 heures, tous les deux dans le cockpit, puis bain comme la veille, farniente, lecture et broderie pour Anyvonne. 
Dans la journée, on  croise de loin (5 à 6 miles) deux voiliers qui manifestement cherchent vers le sud des vents d'Est pour faire route directe vers les Antilles. Au point de 12h30, nous aurons fait 65 miles les dernières 24 heures. Ca se traîne! A ce train là, il va nous falloir 10 à 12 jours... 
Bien que radieux, les jours sont courts : de 8 à 18 heures. On dîne tôt, pour essayer de dormir tôt. Mais le rythme de sommeil et de veille alternés n'est pas encore trouvé. Nos habitudes de veille changent: on utilise un peu plus le radar. On veille donc à l'intérieur d'un bateau où les lampes à pétrole restent allumées (ce qui est très agréable pour celui qui veille...) avec un rythme de consultation du radar toutes les 15 minutes sur l'échelle des 16 miles.  Un minuteur de cuisine nous aide puissamment à ne pas rester endormis en oubliant notre veille. Cela fait un peu drôle de se retrouver tout seul au milieu de la mer. Depuis juillet, nous avons toujours eu une côte en vue. Et là rien de rien... Pas un rade, pas une mobylette. Rien... 
Paradoxalement, Anyvonne a ressenti un vif sentiment de " solitude " quand nous avons vu un autre voilier à l'horizon. Mais cette solitude, elle la ressentait pour cette petite voile, minuscule là-bas au milieu de rien. Pas pour nous, du  tout. Sans doute parce que nous, nous ne sommes pas perdus. Nous sommes là, confortablement installés dans notre décor familier de 12 mètres sur 4. Assez grand, finalement... Alors que cette voile minuscule, là-bas, semble tellement fragile dans cette immensité. 
Nous sommes partis, quasiment à la pleine lune. Alors celle ci se lève tard dans la nuit, mais quand elle est là, la nuit est claire et semble moins oppressante. (" Cette sombre clarté qui tombe des étoiles "...) 

Dimanche 8.
Le vent est maintenant bien installé force 2/3 au Nord-Est. On s'essaie à une nouvelle allure en se la jouant " trinquettes jumelles ". Avec le génois tangonné sur bâbord, on amène la Grand Voile et on envoie une voile d'avant sur l'étai largable, tangonnée sur la bôme, bien débordée sur tribord....Ca marche au poil et c'est finalement moins sensible aux écarts de route que la grand voile en ciseau. En tous cas, ça fait moins de bruit. (Sans vent suffisant, avec le roulis, les mouvements de grand voile sont  terriblement agressifs et bruyants. On a en permanence l'impression de tout casser.) 
Au point de midi, nous aurons atteint les 80 miles en 24 heures. On progresse.

Lundi 9. 
Cette nuit a enfin justifié notre veille nocturne attentive: à 3h, nous avons croisé un cargo sur une route inverse de nous, à moins d'un mile sur tribord. Émotion!
On pêche enfin!!! Enfin, on prend du poisson, parce qu'on n'a pas arrêté de pêcher depuis le début...En tous cas, on n'a pas cessé d'avoir une ligne à l'eau avec une margatte au bout! On prend une Coryphène d'un bon kilo. Gérard lève les filets et on se les cuit en papillote avec de la crème fraîche et du chou blanc. On en a réservé un peu pour faire à la tahitienne (voir recette dans le n°4. Ndlr). Tout ça est délicieux.... 
Maintenant, le vent a forci à 20 noeuds et en conséquence, le bateau file 5 à 6 noeuds. Enfin une vitesse agréable sur une mer qui est encore assez plate. A midi, c'est enfin 100 miles en 24 Heures. C'est la moyenne qui satisfaisait Moitessier.... Alors nous, on est contents.

Mardi 10.
On commence à trouver un rythme de quart à notre convenance depuis hier soir: Anyvonne de 20 à 23h et de 4 à 8 heures, Gérard 23 à 4 heures. On s'assoupit 20 minutes entre chaque sonnerie, et la veille au radar n'est pas l'enfer de la barre dans le froid et sous la pluie. Ici, la nuit, il fait 24/25 degrés...
A midi, journée à 110 Miles. La vitesse semble se stabiliser à 6 noeuds, mais la météo annonce du vent plus frais, force 6/7 et plutôt Nord. Avant la nuit on renvoie la Grand Voile avec 2 ris de précaution, et on se remet sur une allure de grand largue. 
Ce soir: choux aux lardons " Comme chez nous dis!! ... " Mais sans beurre. On n'en a pas avitaillé en partant, pour ne pas être tentés.

Mercredi 11.
Pendant la nuit, le vent s'est effectivement installé comme prévu, et la mer s'est creusée. Les creux sont de 2 à 3 mètres, mais avec les vagues par le travers arrière, ça reste assez confortable. Avec nos 2 ris, la vitesse reste raisonnablement entre 6 et 7 noeuds. 
On commence à voir pas mal d'exocets (des poissons volants) et ce matin on en trouve trois, suicidés sur le pont. Nettoyés, ils finiront poêlés, dans notre assiette. C'est délicieux...Et puis ce matin, on capture notre 2ème coryphène. Un peu plus grosse: 2 à 3 Kg. La subsistance est assurée. 
Au point de midi 30, parcours de 140 miles les dernières 24 heures. Enfin l'allure attendue. On finira par arriver... A cette allure, nous prévoyons même que ce sera dans la journée de vendredi. 
Dans l'après midi, au milieu de notre activité somnolente, une vision soudaine et surprenante: un pétrolier, ou quelque chose qui y ressemble, à un demi mile sur tribord. Celui-là, nous ne l'avions pas vu venir. Réflexion sur notre activité de veille, tellement scrupuleuse la nuit et laxiste le jour.

Jeudi 12.
Toujours du vent, et toujours 140 miles de parcours quotidien. Nos pronostics d'arrivée se confirment. Toujours des poissons volants (3 ou 4 sur le pont le matin). C'est trop! Anyvonne a rassemblé les derniers légumes encore sains bien que vieillissants, et ils ont fini en ratatouille. Très bon avec la fin du ragoût de coryphène. 

Vendredi 13.
On devrait arriver aujourd'hui. Avons-nous choisi la bonne date? Enfin on n'est pas superstitieux et on verra.... 
Pour commencer, le vent nous a lâchés dans le courant de la nuit. La mer est devenue plus confortable, mais nous n'avançons plus et on retrouve le roulis des périodes de pétole. Nous sommes à 60 miles du but. Pour conserver nos chances d'arriver avant la nuit: MOTEUR. 4 noeuds, pas terrible... 
Vers 11 heures, un bateau en pêche est en route collision! Vive la veille... Nous nous déroutons et nous le croisons à 50 mètres sur tribord, au milieu d'un concert d'exclamation que l'on pense être de bienvenue. Le vent se remet en route 3 à 4, et nous on refile 5 à 6 noeuds. ça baigne. Deux oiseaux nous suivent depuis deux jours. Enfin Anyvonne croit que ce sont les mêmes. Elle l'a lu dans Moitessier... Et si GPS ne nous l'avait pas indiqué depuis longtemps, nous aurions l'impression que c'est un signe de terre proche.... 
Pardi! à 14h30 nous apercevons le profil de Santo Antao qui émerge d'une épaisse " brume de sable ", comme ils disent à la météo. A 16h20, nous mouillons dans le port de Mindelo qui s'appelle en fait Porto Grande et qui est merveilleusement abrité au fond d'une assez jolie rade. Nous nous sentons en sécurité et avec de la découverte à faire devant nous. 
Mais ceci est une autre histoire....