LA GAZETTE DE L'A.R.B
Anyvonne Restaurant Bar
 
Polynésie IV - Brêves de bateau
N°20 - Octobre 2002

Suvarov, l'atoll solitaire

(prononcer Souaro et écrire Suvarov, Suvarow ou Suwarow, c'est selon...)

 

Cet atoll sans habitant permanent, fait partie de la république des Iles Cook. Ce sont 15 îles et atolls éparpillés sur une zone de 500 sur 800 milles, qui forment depuis 1965 un état autonome bénéficiant d'un statut d'association avec la Nouvelle Zélande. Suvarov y est situé au nord ouest, à près de 200 milles de ses plus proches voisins.

Il a longtemps été occupé par un néo zélandais solitaire: Tom Neal. Ce personnage étonnant a raconté son expérience dans un livre " An island for oneself". Dans les années 60 à 80, il a "survécu" ici pendant près de vingt ans, seul et à quasiment plein temps. Reconstruisant inlassablement sa maison et son quai de corail après le passage de plusieurs cyclones.

A cette époque, seuls quelques voiliers passaient de temps en temps le visiter. Moitessier y a fait quelques séjours qu'il raconte dans Tamata. Je crois que Tom est mort en 1982.

 

A Saute Moutons sur le Motu

Amateurs d'alignements Bonjour...

Clin d'œil à tous les "glénanais" qui ont souffert dans l'archipel du même nom, ou autour de l'île de Bréhat, à repérer des alignements pour circuler entre les cailloux:

 

L'entrée à Souvarow est un jeu d'enfant: il suffit d'aligner au 165, un "rocher" situé près de la passe et un motu à 5 milles, de l'autre côté du lagon... Si la visibilité est bonne, le motu &ccdil;a va ,on le repère assez vite. Il n'y en a pas trente six, bien rond posé sur l'horizon. 

But where is the rock?

- Le barreur: Il est Vraiment sur la carte Ton rocher? Est ce qu'on est censé le Voir?

- Le capitaine: Beuhhh ouais.. Sûrement... Enfin j'sais pas...

- Ahhhhh!!!!

&Ccdil;a explique tout mais &ccdil;a ne rassure pas vraiment...

 

Alors on avance doucement, au moteur, grand voile à poste, au vent d' un platier proche ou &ccdil;a déferle fort (Vers lequel donc le vent et la houle nous poussent).

Le barreur a spontanément tendance à s'en éloigner en faisant plutôt du 175 que le 165 demandé..

 

- Mais où il est ce sapristi de rocher?

Le capitaine se déscotche de sa carte électronique et daigne jeter un œil sur le décor:

- Tu vois là bas en face, &ccdil;a moutonne plus qu'ailleurs! Ca doit être &ccdil;a...

(ben voyons: le lagon est agité, &ccdil;a moutonne de partout)

- Si je comprend bien, il faut aligner, sur le motu, quelques moutons pris dans le troupeau qui court devant nous?"

- Eh ben voila. T'as tout compris!

Le barreur scrute la surface pour repérer (grâce à ses lunettes polarisantes) les bons moutons qui moutonneraient plus que les autres. Et on avance toujours.

Il distingue bientôt des moutons plus serrés et plus vifs, sur un vert plus clair (herbe tendre?). 

Ne serait- ce pas notre "rocher affleurant?"

Eh bien on va dire que si. On le met dans le 165 et Sur le motu, puis on s'approche des moutons en question.

Mais attention il ne s'agirait pas de les Ecraser... Il faut même les éviter, vu qu'ils sautent quand même sur un pâté de corail. En fait, ils servent en quelque sorte de décorations à un rond point inondé: si vous calez plus de trois mètres, vous passez à gauche , sinon vous pouvez passer à droite.

Nous passerons à droite, en évitant quand même, le platier qui déborde de l'île où nous voulons aller.

Bien sur, il vaut mieux faire &ccdil;a sans trop de courant mais ce fut finalement plus simple que l'Aber Wrach. 

Ce saute moutons est évidemment plus simple en sortant, quand on connaît les lieux .

 

Il est toutefois bon de savoir que Suvarov est un mouillage qui peut devenir dangereux quand le vent tourne au nord. C'est assez rare mais cela a quand même peuplé les fonds du lagon des épaves de quelques bateaux de passage.

 

 

Une traversée qui a accéléré brutalement notre vieillissement...

C'est entre les Samoa et Niuatoputapu que nous avons perdu une journée de notre vie, lors du passage de la ligne de changement de date...

Sur le moment, nous ne le savions pas mais quelque part cette nuit là, nous avons été brusquement projetés du vendredi au samedi à la même heure. Jusque là, nous nous couchions au moment où vous vous leviez déjà, alors que depuis vous vous endormez à peine, au moment ou nous nous levons... Comprenne qui pourra... 

Nous avons ensuite basculé des longitudes Ouest dans celles de l'Est la dernière nuit de notre traversée vers les Fiji, au passage des 180°. A ce moment, en terme de longitude, notre premier demi tour du monde s'accomplissait. Un calcul rapide de GG nous a fait réaliser que nous avions parcouru plus de 40 000 kilomètres depuis notre départ.

La longueur d'un tour complet. Rigolo non?

 

 

Les infortunes de Robert et Claire

A notre arrivée à Wallis, arborant pavillon suisse, un seul bateau se partageait le mouillage avec lui même. Nous fîmes donc rapidement connaissance. Robert et Claire s'acheminaient vers l'Australie en effectuant leur deuxième tour du monde, au cours d'une vie sur l'eau ininterrompue depuis plus de 30 ans. La relation très sobre qu'ils feront de leurs aventures évoqua tout à coup un souvenir au skipper.

Bon sang, mais c'est bien sûr. Nous avons entendu parler d'eux sur le réseau BLU, début 2000, autour des Antilles!

En 1997, ils naviguaient dans les Caraïbes, à bord d'un "vieux gréement" en bois, qui les avait transportés depuis plus de vingt ans tout autour du monde. Survint le cyclone Mitch qui les surprit au sud de la Jamaïque et leur envoya des troncs d'arbre qui coulèrent le bateau. Récupérés dans leur survie par un cargo, ils revinrent en Martinique où ils travaillèrent à retaper un Dufour 35 acheté en piètre état. Fin 1999, les voilà repartis.

C'est alors que nous avons entendu parler d'eux:

Au large de la Colombie, devant Carthagène, un coup de Norther* levait une mer très forte. Trop forte pour être affrontée par le travers. 

Robert renon&ccdil;ant alors à l'escale prévue, décide de continuer en fuite vers Panama.

Dans la nuit, une déferlante plus forte que les autres fait sancir** le bateau... 

Robert qui barrait, attaché dans le cockpit est évidemment projeté à l'eau. Le bateau se redressant, il remonte à bord en s'aidant de sa ligne de vie. Claire qui se reposait à l'intérieur, avait fait un bref séjour au plafond, où elle avait re&ccdil;u tous les pots de confiture qui dormaient dans les fonds...

Tout l'équipage était donc encore là, mais plus de voiles ni de barre à roue...

En gréant le peu de toile qui traînait dans le bateau, ils réussirent à rejoindre Panama pour "un peu" réparer. 

La barre franche de secours qui les y a aidés est d'ailleurs toujours à poste et la place de la roue dans le cockpit s'est ainsi libérée...

 

Ma question était banale: "Et vous avez encore trouvé le courage de continuer ?"

La réponse fut très simple: "Mais Gérard, naviguer c'est ce que nous avons toujours fait. Et c'est tout ce que nous savons faire..."

La réponse est un peu fausse, Robert est un charpentier de marine confirmé et Claire une artiste habile et un architecte...

Ainsi va la vie...

* Norther: Violent coup de vent de nord, envoyé sur les Caraïbes par des dépressions formées dans le golfe du Mexique.

**Sancir: Chavirer cul par dessus tête. C'est à dire que l'arrière du bateau passe par dessus l'avant.