Nos premiers pas
de vrais Pacificos et notre premier quart de tour.
Les derniers préparatifs avant le grand désert bleu…
Quelques jours seront nécessaires aussi, pour aider au passage du canal de Ma'Ohi . Gérard laissera pour trois jours la garde de Getaway à Anyvonne, pendant qu'il ira sacrifier à la routine qu'est maintenant cette opération de transit… On aimerait bien faire aussi une
toilette du bateau sous la flottaison et y rajouter un peu d'antifouling.
Le Pacifique a mauvaise réputation chez les carènes de bateaux…
Mais dans la région, les endroits sympathiques pour sortir un bateau
de l'eau, ne sont pas légion. Un slip antédiluvien à
colon; une grue dans le petit yate club de Pedro Miguel situé au
milieu de canal (mais assez inquiétante pour un bateau de 12 tonnes)
et enfin le slip du yate club de Balboa, dont la réputation d'accueil
n'est guère flatteuse. Les endroits propices à un échouage
de marée semblent trop exposés au clapot. Alors… Après
avoir longtemps hésité, choisi puis renoncé à
Pedro Miguel, la seule issue est maintenant à Balboa. C'est
donc là que nous sortons Getaway, le 17 novembre.
Pour ceux qui ne sont pas familiers du terme, un slip
est un plan incliné équipé de rails sur lesquels circule
un chariot tiré par un treuil. Ce chariot peut aller sous
l'eau se placer sous un bateau puis, le long du plan incliné,
le hisser au sec où l'on pourra travailler dessous. A Balboa, le
slip comporte deux systèmes de chariots et un seul treuil pour manœuvrer
les deux. Pendant que nous nous préparons à rejoindre la
mer, l'équipe du slip s'affaire à la manœuvre du chariot
voisin pour hisser une petite vedette, avant de nous remettre à
l'eau. Eh bien figurez vous qu'un chariot de slip peut dérailler
et que c'est ce qui arrive…
Quelques jours après ce chantier et quelques ultimes courses d'avitaillement, nous quittons enfin Panama. Anyvonne trouve définitivement qu'il y pleut trop… La découverte des Perlas… sans les perles…Cet archipel sauvage, situé à une cinquantaine de milles dans le golfe de Panama, abrite beaucoup d'oiseaux, de crevettes et d'huîtres perlières. On y trouve aussi une île chic - Contadora - qui cache des résidences secondaires de riches panaméens. Périodiquement, elle héberge aussi des réunions de dirigeants politiques Sud Américains, car dans le contexte terroriste, sa situation permet d'y assurer facilement la sécurité. Nous passerons dans l'archipel une grosse semaine, découvrant trois îles, inhabitées ou presque, où nous pêcherons toutes les protéines nécessaires. Nous y récolterons pas mal d'huîtres qui ne nous apporteront pas de perles mais dont le pied, cuisiné comme des coquilles St Jacques, est excellent. Nous terminerons pas l'île se Pedro Gonzalez, mouillés devant une superbe plage bordée de cocotiers et d'une "jungle" où poussent aussi citronniers, manguiers et bananiers. Au bout de la plage, on trouve une petite merveille: une cascade d'eau douce, fraîche et potable. Nous y ferons une débauche de lessives et de douches. La chasse sous marine rapporte bien et régulièrement. Avec l'équipage de Ma'Ohi et un couple d'écossais qui mouille là en même temps que nous, nous en profiterons pour organiser un barbecue sur la plage. Au milieu des moustiques… Le Bonheur… Mais il faut bien partir un jour. Nous nous aventurons sur la route de l'Équateur.Le 6 décembre en fin d’après midi nous quittons notre mouillage enchanté pour mettre cap au Sud. C'est bien connu, la route au sud, le long de la côte Ouest de l'Amérique Latine est un enfer contre vents et courants. L'Équateur, notre première destination Pacifique, se trouve à quelques 500 milles dans cette direction. Nous avons donc décidé de couper l'étape en deux et de nous arrêter souffler un peu en Colombie, à Bahia Solano, à 180 milles d'ici. En fait, contrairement à ce qui est dit précédemment, cette demi étape présentera d'excellentes conditions de navigation. Cap au 150, vents de décembre et courant favorables. Bien que le vent nous abandonne en fin de journée, le 7 décembre au soir, après avoir passé l'après midi à longer une côte qui semble une jungle inhabitée, Ma'Ohi et Getaway entrent au radar pour mouiller dans le nord du golfe de Cupica. Le matin nous nous réveillons en face de rien. Nous ne débarquons pas et remettons en route vers l'autre extrémité du golfe où se trouve notre destination, à 30 milles au sud. Où l'on s'offre une parenthèse colombienne: Bahia Solano et ses guérilleros.Ici, dès que vous arrivez, vous ne pouvez pas éviter l'accueil des militaires. Ils sont nombreux et en fin d'après midi, ils attendent notre débarquement sur la plage, bardés de pistolets, grenades et mitraillettes. On découvre comme ça que la guérilla n'est pas loin et que c'est ici une préoccupation constante. L'accueil est malgré tout sympathique et détendu. Quelques questions sur le bateau, sur nos intentions, puis ils nous permettent de débarquer . Ils nous suggèrent même de laisser l'annexe sous leur surveillance, devant le poste de garde. On va donc, l'esprit tranquille, visiter le village à 800 mètres de là. Deux rues principales tracées dans le sable et
bordées de maisons à balcons, en bois et un peu décrépites.
Un poste de police entouré d'un rempart de sacs de sable. Deux hôtels
qui paraissent vides. Quelques "bars" peu actifs .
Peu à peu, en flânant, en buvant un jus de
fruit au bar du coin, en discutant par ci par là, on apprend que
notre arrivée est un évènement. Le dernier voilier
à être passé ici, est reparti il y a 13 ans…
Elle s’appelle Alejandra, est originaire de Medellin et
est installée ici depuis 4 mois.
On hésite même à rester passer Noël
ici. Mais le mouillage n'est pas terrible, la baie est très exposée
au nord et nous entrons dans la saison où les coups de vent viennent
inopinément de cette direction. Alors on continue au Sud vers
l'Équateur.
Avant de poursuivre notre ruée vers Las Esmeraldas… sans les émeraudes.Les conditions favorables de la première demi étape sont résolument derrière nous et maintenant, nous devons affronter les conditions évoquées plus haut: courant contraire, vents incertains et le plus souvent dans le nez. Un jour, on tire des bords: 50 à 60 milles dans une mer hachée. Le lendemain, moteur dans la calmasse. Un peu pénible... On mettra 5 jours pour couvrir les 350 milles qui séparent Bahia Solano de Puerto Esmeraldas. Nous avons choisi ce point d'entrée en Équateur parce que c'est le premier port qui se présente sur notre route et que nous sommes bien contents de nous arrêter… Nous sommes un peu inquiets de nous faire jeter par les autorités, dès notre arrivée: Le bruit court à la BLU que l'Équateur impose aux étrangers de posséder un visa, préalablement à leur arrivée. Évidemment, on ne s'en est pas préoccupé quand il était encore temps, à Panama. Si on se fait refouler, on ne sait pas très bien où on ira. On verra bien! Le 15 décembre au matin, à marée
haute, on embouque le chenal d'entrée du port de pêche d'Esmeraldas.
D'un point de vue maritime, Esmeraldas est un port de
pêche, un port de commerce - dont le plus gros de l'activité
est l'embarquement de sciure d'eucalyptus pour l'industrie papetière
- et un terminal pétrolier.
Expédition Andine, à la recherche de l'Eldorado L'Ecuador rappelle la Suisse: de grandes montagnes qui traversent un petit pays.Ce pays est situé au Nord Ouest du continent Sud Américain. A cheval sur l'équateur - d'où son nom – il est parcouru du nord au sud, sur près de 800 kilomètres, par la Cordillère des Andes. En le traversant d'Ouest en Est, on découvre d'abord une plaine côtière à la végétation assez sauvage, où sont établies quelques grandes plantations (bananes, cacao, café, coton…). On escalade ensuite une première chaîne de montagnes dont les cols donnent accès aux hauts plateaux centraux, situés quelques centaines de mètres en contrebas. Là se trouve Quito, la capitale du pays. En poursuivant plus à l'Est, les hauts plateaux s'élèvent en une seconde chaîne de montagnes au delà de laquelle commence le bassin de l'amazone. Au sein de ce bassin, à 700 kilomètres de la mer, on trouve la frontière avec la Colombie et avec le Pérou, . De chaud et humide sur la côte Ouest, le climat devient plus tempéré au centre et en altitude. Quito qui est la deuxième plus haute capitale du monde (près de 3000 mètres) est réputée avoir un climat printanier toute l'année. On est assez content à l'idée de se rafraîchir un peu à 18 – 20°C… L'altiplano (les hauts plateaux centraux) concentre l'essentiel de l'activité agricole de l'Équateur. Au nord de la capitale, beaucoup de serres signalent la culture des roses dont le pays est un gros producteur à l'échelle mondiale. Au sud, ce sont les cultures intensives de légumes. C'est avec une connaissance balbutiante de tout cela que
le vendredi 22 décembre à 8 heures 30, on prend le
bus à Esmeraldas pour Quito. Nous espérons trouver là
bas une correspondance qui nous permettra de dormir le soir à Otavalo.
C'est une petite ville de l'altiplano, à quelques 60 kms au nord
de la capitale.
Otavalo et son marché…Nous arrivons à destination vers 18 heures, à la tombée du jour. A la descente du bus, une femme nous propose son hôtel et comme elle annonce des tarifs séduisants, nous la suivons… Pour voir… L'hôtel "El Geranio" n'est pas cité dans notre guide mais il est bien situé. Assez sympathiquement rustique mais pas trop, l'ambiance "sacadoïste" y est plutôt familiale. (juste de quoi confirmer nos dispositions routardes et aventureuses…). Nous nous y installons pour quelques jours. Notre gîte est situé dans un quartier calme; nous n'y serons troublés que par les coqs qui braillent toute la nuit. Mais on peut supposer qu'ils s'égosillent ainsi dans toute la ville. Otavalo est une petite ville (environ 50 000 habitants)
dont la majorité des habitants sont indiens ou métis et qui
est très connue pour son marché artisanal du samedi. Dans
cette région, le tissage est pratiqué depuis plus de 1500
ans. Les indigènes qui ont développé cette activité
traditionnelle et lui ont trouvé des débouchés mondiaux,
sont maintenant propriétaires de nombreuses entreprises de l'économie
locale (boutiques d'artisanat, restaurants, agences, exportation de textile…).
Cette communauté amérindienne est considérée
comme la plus prospère d'Amérique latine. Malgré ou
grâce à cela, ils ont gardé une identité culturelle
forte. Leurs
traditions et leurs costumes (y compris les chapeaux pour les hommes et
les femmes.) sont très présents dans le quotidien. Les cheveux
longs et tressés des hommes, les corsages brodés des
femmes ne sont pas du folklore.
Nous passerons le samedi au marché qui est implanté
sur trois places différentes et dans les rues qui les relient.
En attendant Noël, on se fera une petite promenade
montagnarde (Un peu sportive au goût d'Anyvonne) vers une belle cascade.
Vue sur les volcans et les lacs environnants. Très très beau…
On pense un peu à l'Auvergne, en immensément plus vaste…
Après deux jours de promenades autour des lacs
et des volcans environnants, nous repartons passer quelques jours à
Quito.
Cyber Quito, ses rues, ses musées…Nous resterons une semaine dans cette ville. Sur le site de Quito, les Incas avaient établi une capitale réputée très riche et brillante. A l'arrivée des espagnols et devant la perspective de leur défaite militaire, ils ont détruit et enseveli toutes ces richesses. La ville fut entièrement reconstruite par les nouveaux occupants. Le vieux Quito, résolument colonial, est équipé de quantité d'églises, de monastères et de bâtiments à vocation militaire. L'ensemble pourrait être superbe s'il n'était aussi décrépi. Une action de réhabilitation semble débuter et peut être que dans quelques années…. De plus les rues principales du vieux quartier sont en permanence envahies d'échoppes "d'articles à 10 francs, made in Taiwan", qui créent une ambiance "Mont St Michel" un peu lassante.
Superbe église sur un beau parvis. On trouve là, la meilleure boutique de reproductions d'art pré colombien et d'artisanat équatorien, de Quito. (C'est le genre d'endroit qu'on aimerait trouver en sortant du musée, mais là bas personne ne semble connaître son existence). La place Santo Domingo,
Le quartier Mariscal
La Casa de la Cultura
Quelques échappées intéressantes autour de Quito:Mitad del Mundo. En 1736, une équipe de scientifiques français est venue ici pour calculer la position exacte de la ligne de l'équateur. Parmi les résultats de ces travaux, qui durèrent 8 ans: des précisions sur la forme de la terre (un peu aplatie aux pôles et enflée à l'équateur) ainsi que les bases du système métrique. Pour commémorer ces hauts faits scientifiques, on a érigé les bustes des savants français, le long d'une ligne de quelques centaines de mètres, matérialisant l'équateur qu'ils avaient calculé. Il est assez surprenant de voir l’acharnement des touristes qui visitent le coin, à se faire photographier à cheval sur la ligne ou sautant par dessus…. Hélas, hélas, nous l'avons fait aussi !!! Les scientifiques s'accordent aujourd'hui à penser que depuis tout ce temps, dérive des continents aidant, l’équateur se serait déplacé de quelques kilomètres. Rien n'est jamais acquis! Sur la ligne, on a aussi érigé une sorte de tour / obélisque d'une trentaine de mètres, construite en blocs de lave. Elle sert de belvédère pour offrir une vue plongeante sur la l‘équateur, mais elle abrite surtout un intéressant musée ethnologique. Il montre essentiellement les caractéristiques du peuplement indien actuel du pays. Venant après le musée de Quito qui exposait surtout ses origines et son histoire, cette visite montre une intéressante continuité. Les Banos de Papallacta
Avec l'an nouveau nous abordons le Sud du pays.Sur la route du sud, notre trajet emprunte "l'allée des volcans". C'est le haut plateau central, bordé à l'Est et à l'Ouest par les deux chaînes de montagne déjà citées. Ces montagnes sont généralement des volcans dont certains sont encore en activité. Imbabura, Pichincha, Cotopaxi, Tungurahua, Chimborazo … tous entre 5 et 6000 mètres. Des fumées s'échappent en permanence de certains sommets. C'est superbe et majestueux. Baños, c'est Chamonix sur les Andes.Notre première étape nous amènera à Banos qui est une petite ville très prisée des circuits touristiques. Nous serons déçus. C'est l'exact équivalent d'une station alpine en été. Aucune vie, autre que touristique, n'y est observable: Un hôtel, une agence de tourisme, un restau, un magasin de souvenirs… et on recommence. Ce n'est pas notre tasse de thé. Les rues sont peuplées de jeunes européens ou américains discutant de leur prochaine course ou racontant leur dernier exploit… T'as fait le Cotopaxi? T'as fait la descente en raft? T'as fait le Chimborazo? La marche, la course, le vélo??? Eh bien non, on n'a pas fait… Autour de la basilique, une partie de la ville échappe
à cette frénésie sportive. Là c'est plutôt
Lourdes. Toute la place devant l'édifice est couverte de stands
de souvenirs religieux.
Riobamba et son "Ferrocarril Transandino"Vous devez bien avoir vu au moins une fois, un film publicitaire qui montre un chemin de fer bringuebalant sur les cimes andines. Généralement, le train s’y promène aux accents de la musique locale, dans des paysages somptueux en transportant sur le toit des wagons, toute une faune de voyageurs très haute en couleurs. Ce pouvait être pour Jacques Vabre et son café mais aussi pour des boissons ou des chewing gum. Ce souvenir constitue pour nous une des raisons de notre présence ici et nous sommes impatients de faire la connaissance de ce chemin de fer. Hélas, hélas, la concurrence de la route
et les difficultés d'entretien des voies dans un tel décor,
ont tué le chemin de fer tant espéré. Depuis quelques
années, il n'existe plus de service régulier. Seul un service
touristique restreint est assuré par quelques cheminots passionnés
qui tentent de faire survivre ainsi ce qui a été leur métier.
Maintenant, le train n'existe donc plus que par leur volonté
et par l'intérêt manifesté par les touristes.
Le voyage dure 7 heures. C'est fascinant, impressionnant,
beau et inconfortable. (Comme dans la pub citée plus haut, musique
en moins).
La Nariz del Diablo.Le nez du diable. C'est une paroi rocheuse quasi verticale, qui plonge au loin, tout en bas d'une gorge. Pas moyen de l’éviter pour aller jusqu'au fond. La voie est creusée dans la muraille. Étroite! Pentue (environ 10%)! C'est la première fois que nous voyons un train faire des lacets à flanc de montagne. On était prévenu, mais on n'avait pas réalisé. Comment va - t - on faire pour prendre le virage, au bout de la paroi? Eh bien: Imaginez un grand zigzag. Le train arrive le long du premier zig. Au bout, il s'arrête sur une courte voie de garage, puis il repart à reculons le long du zag. Vous suivez? A la fin d'icelui, même arrêt sur une courte voie de garage, pour repartir, en avant cette fois, sur le 2ème zig. A chaque fois, on descend d'une bonne cinquantaine de mètres. A chaque arrêt on retient son souffle. La paroi rocheuse ou nous jouons est vraiment vertigineuse… Mais au bas de la paroi, 150 mètres plus bas, les canards sont toujours vivants pour vous le raconter. Au fond de la vallée, c'est le bout du voyage. On est face à un aiguillage dont une voie continue au sud jusqu'à Cuenca pendant que l'autre file vers l'Ouest jusqu'à Guayaquil. Il n'y aura sans doute plus jamais de trains à franchir cet aiguillage. Pour ce qui nous concerne, un système de voies de garage permet à la motrice de se placer à l'autre bout du convoi et donc de faire demi tour. Et c'est reparti pour le zigzag, dans l'autre sens. Une heure plus tard, nous sommes de retour à Alausi où nous abandonnons le train pour chercher un bus. Cuenca en MaiIl est quasiment 19 heures quand nous arrivons en ville. Epuisés… Nous avons repéré sur notre guide un hôtel qui paraît sympa et pas trop cher: "El Cafecito". L'arrivée est un peu surprenante: Dans une cour intérieure protégée par une verrière, autour de petites tables rondes, une foule de jeunes branchés – jeunes équatoriens et touristes sacados mêlés – expriment très bruyamment leurs projets de rénovation du monde. . Le décor est un mélange kitsch, artiste avant garde et indien… C'est assez plaisant mais on verra demain. Pour l'heure on cherche une chambre. Au milieu de toute cette jeunesse, on se sent un peu décalé. Espérons qu'il n'y a pas de limite d'age! Heureusement, on a un sac à dos!!! Mais non, il n'y a pas de limite et on nous trouve vite une chambre calme, qui s'ouvre sur le jardin intérieur. Le lendemain nous arpentons la ville. Boutiques d'artisanat, églises anciennes, musées, quelques très beaux exemples d'architecture coloniale… La cathédrale est superbe avec ses coupoles émaillées de bleu et incrustées d'or. Cuenca est réputée être la plus belle ville coloniale du pays. On le croit sans peine. Les places ombragées sont reliées par des rues calmes. On échappe ici à la lèpre des échoppes de "souvenirs plastiques, made in Taiwan" qui encombrent les rues du vieux Quito. La promenade est agréable et tranquille, jusqu'à ce que nous voyions surgir devant nous des bandes de jeunes gens excités, courant avec leur foulard sur la bouche. Les suivent de très près, une fumée qui pique fort les yeux ainsi que des bruits d'explosion: Des grenades lacrymogènes précèdent des hordes de policiers qui se ruent, matraque en avant. C'est Mai 68. Les collégiens sont dans la rue. On se renseigne (après s'être prudemment garé du "trafic"). Ils manifestent contre l'augmentation du prix des transports en commun qui vient d'être décidée unilatéralement par les coopératives de bus. Entre 40 et 70 % d'augmentation. Pour corser la situation, les bus commencent eux aussi à se mettre en grève. Ils entendent ainsi combattre l'hésitation du gouvernement à entériner cette hausse, L'inquiétude nous prend de rester bloqués ici, à 800 kilomètres du bateau. Mais avant de s'affoler, on a encore une visite à faire: Les traces d'une civilisation orgueilleuse dans les ruines Incas d'Ingapirca
Le retour au bateau.Les nouvelles alarmantes concernant les possibilités de grève générale des transports se confirment. Déjà, notre projet de rentrer le long de la côte, par Guayaquil, tombe à l'eau, car dans cette ville, les bus interrégionaux sont bloqués. A Quito, ce sont les bus locaux qui sont arrêtés. Nous sommes samedi et nous apprenons que demain les bus de Cuenca fonctionneront encore. Aucune décision ne sera prise avant lundi. Nous prenons donc immédiatement la notre: Après une dernière soirée (qui se révélera chaude et arrosée de Canelazo), nous prendrons demain matin le bus direct Cuenca – Quito. Là bas, on sera déjà plus près du bateau... Le voyage est un peu écourté mais on se rattrapera aux Galápagos. Le dimanche soir, nous retrouvons donc notre hôtel quiteno. Le lundi, les nouvelles s'améliorent . Des accords entre les transporteurs et l'état ont abouti à la suspension de la grève des transports. On pense autour de nous que l'accalmie sera courte, car ces accords entérinant la hausse des prix, les étudiants et les indiens ne devraient pas tarder à revenir dans la rue. Le mardi, nous trouverons tout de même un bus qui nous ramènera tout droit à Esmeraldas et le soir, au bateau. Au moment où nous rédigeons ces lignes, il s'avère qu'effectivement les grèves et manifestations ont repris de plus belle fin janvier. A suivre… Le vrai début de l'aventure Pacifique.Tous ces jours passés dans le port un peu glauque d'Esmeraldas nous ont donné une furieuse envie de naviguer à nouveau. En plus, notre programme qui mentionne toujours l'île de Pâques nous presse un peu. Pour ne pas trop risquer de mauvais temps là bas, nous devrions être repartis de cette île début mars. Et donc, nous devrions y arriver avant… Et comme il faut une vingtaine de jours pour y parvenir, il faut se presser. Le 17 janvier, après nos adieux à Ma'Ohi
que l'on espère retrouver un jour en Nouvelle Calédonie,
nous reprenons la mer vers les Galápagos. Un peu plus de 600 milles
nous séparent de San Cristobal qui est l'île la plus proche.
Une bonne moitié du parcours est prévue (et se réalisera)
au près serré. Mais sur la fin du trajet, le courant aidant
un vent plus favorable, nous ne mettrons que 6 jours pour arriver.
Un après midi, vers 15 heures, le GPS du
bord se met à dérailler furieusement. Le point annoncé
se ballade sur tout le globe de manière fantaisiste.
Le 23 Janvier au matin, le soleil levant nous laisse discerner
sur bâbord les côtes attendues. Encore une vingtaine
de milles le long de la côte nord de l'île, pour atteindre
Puerto Baquerizo où nous arrivons en milieu d'après
midi. Nous découvrons là que l'entrée de la baie ,
large mais pas très claire, a déjà servi de piège
à un petit cargo qui gît sur des hauts fonds, sous les assauts
de la houle déferlante. Il s'appelle Jessica. Nous ne savons pas
encore que c'est un pétrolier célèbre .
Puerto Baquerizo en plein drameL'essentiel du port est encombré de barques de pêcheurs et de quelques vedettes et gros voiliers qui contribuent au tourisme local. – Cette île possède maintenant un aéroport et devient donc un point d'embarquement possible pour des excursions dans l'archipel. – Nous cherchons notre place un peu plus à l'extérieur, au milieu de quelques remorqueurs et bâtiments de la royale d'ici. Dans cette foule, seul un petit voilier brésilien semble de notre univers. Rapidement nous comprendrons qu'il se passe ici quelque chose d'inhabituel mais nous ne saurons que le soir, en relevant nos Email, et après le monde entier, que le Jessica était un pétrolier… Apparemment, les télés du monde entier vous entretiennent régulièrement de la catastrophe que nous ignorions. Le lendemain matin, nous débarquons pour nous renseigner plus avant. En tous cas, nous ne voyons pas de traces de mazout sur l'eau. Ni sur les oiseaux et les otaries qui s'ébattent dans le port. Ni sur la plage. Alors??? En fait, cette île a eu beaucoup de chance. Les courants et le vent portant à l'Ouest Sud Ouest, le combustible qui s'est échappé est parti lui aussi dans cette direction. Et par là, c'est surtout l'océan. Mais ce qui nous intrigue, c'est que bien que l'épave soit proche de la côte et assez souvent accessible, on n'a pas l'impression qu'on essaie réellement de la vider. Nous ne saurons jamais ce qu'il en a été de ce point de vue. Tout ce que l'on peut voir, c'est un bateau pompe qui répand des produits dispersants, à longueur de journées, à l'ouvert de la baie. Les seuls autres personnages actifs de la scène sont les équipes de télé et les écologistes dont on parle par ailleurs. Une ou deux fois, nous verrons deux gros remorqueurs tenter de redresser l'épave qui est couchée sur le flanc, en tirant sur ses mats de charge. Pourquoi faire, quels sont leurs espoirs??? Nous n'y croyons pas et ils n'y arriveront pas. Seuls les mats se casseront. Des brésiliens, des passeports et des otaries…En trois jours, nous aurons fait le tour de Puerto Baquerizo. Le plus remarquable sera pour nous les colonies d'otaries qui pullulent littéralement dans le port. Vautrées sur les bateaux, jouant dans l'eau. Dès qu'un équipage quitte un bateau pour aller à terre, il y a toujours un otarie pour venir occuper le cockpit. Ces animaux semblent avoir une philosophie contemplative de la vie qui séduit Gérard. Chasser un peu la nuit, pour manger; et passer la journée à dormir au soleil. Se rafraîchir de temps en temps en allant jouer dans l'eau. Et pour le reste, cultiver sa graisse. On irait bien les rejoindre dans l'eau mais ici, pétrole aidant, l'eau n'est quand même pas très claire. Nous ferons la connaissance des navigateurs brésiliens entrevus plus haut. C'est un couple de jeunes gens bien élevés de Rio de Janeiro. Ils sont arrivés ici par Panama et sont résolus à voir la Polynésie. Il semble que leurs parents ne partagent pas leur enthousiasme; aussi envisagent ils de revenir par le cap Horn, après la Polynésie! Pour l'instant ils attendent le retour de leur passeport, qu'ils ont confié à l’administration équatorienne pour une prolongation de visa. Nous croyons qu'ils ont eu tort. Il devaient venir à Isabella aussitôt qu’ils l’auraient reçu. Trois semaines plus tard, il ne sont toujours pas apparus… Le reste de l'île ne nous attire pas trop et l'agitation ambiante nous encourage à partir pour Isabella.Le 27 janvier à la tombée du jour, nous faisons nos adieux à nos amis brésiliens et nous mettons en route pour Puerto General Villamil, sur Isabella. C'est à 80 milles d'ici et nous y arriverons le lendemain après midi, après une nuit de traversée sans histoire. Nous aurons aperçu au passage les silhouettes de Santa Maria et de Santa Fe, ainsi que les lumières de Santa Cruz. Quel changement et quel bonheur. La rade de Puerto Villamil est protégée par un ensemble de petits îlots et de récifs qui nous rappellent Bréhat. Mais ici on mouille sur du sable dans une eau turquoise. A l'abri de la houle et du clapot. Le rêve. Et puis on est quasiment seul. Seul voilier en tous cas. Le "ferry boat" de l'île (genre vedette de Bréhat) mouille périodiquement près de nous. Il assure deux liaisons par semaine avec Santa Cruz. De temps en temps un cargo vient mouiller dans l'entrée de la baie à un demi mille d'un appontement. Son arrivée déclenche une noria de lanchas et de barges qui procèdent à son déchargement. Cela peut durer plusieurs jours. On verra aussi un pétrolier venir ravitailler l'île. Deux barges équipées de petites citernes et propulsées par des lanchas à couple, mettront deux jours à transborder son chargement vers un camion citerne de l'île. Nous sommes seuls mais le spectacle est quand même assuré. Isabella est l’île la plus grande et la moins visitée des Galápagos.Le tour du village est très très vite fait. Deux ou trois restaurants et autant d'épiceries partiellement achalandées et complémentaires. On y trouve aussi l'hôtel Ballena Azul. Et ca, c'est incontournable! Dora qui le dirige est absolument charmante mais elle est aussi un puits de renseignements sur l'île et l'archipel. C'est une suisse allemande dans nos ages, qui est installée ici depuis une dizaine d'année. Elle adore parler français et nous venons assez souvent chez elle pour boire ou manger quelque chose. Elle nous décidera même à faire, avec deux de ses clients, la promenade à cheval jusqu’au cratère du volcan Santo Tomas qui surplombe le village. Ce fût superbe. Dans cette région de l'île, on repense à Lanzarote qui nous avait tant plu. Cette promenade nous permettra de connaître Hector. C’est un agronome/géologue argentin qui nous apprendra des choses intéressantes. Par exemple, que la terre qui est sur les hauteurs et qui grâce à l'humidité ambiante permet une agriculture assez riche; provient d'une altération de la lave solidifiée, sous l'action des agents extérieurs (Pluie, vent, température, soleil…). Jusqu'à présent, il faisait ses recherches à Buenos Aires, à partir de cailloux rapportés. C'est la première fois qu'il peut venir et observer sur place. Il est heureux et ému. Comme nous… Le reste du spectacle se passe sur et autour des îlots qui entourent notre mouillage. Une petite colonie d'otaries habite une épave en devenir, qui est abandonnée à une encablure de Getaway. Leurs cris (genre vomissements d'après trop boire…) et quelquefois leur odeur animent le paysage. Une ou deux viennent parfois faire le tour du bateau et parfois investir sa plage arrière. Pas craintives, mais pas trop familières non plus. Un peu plus loin, un îlot de lave brute facilement accessible, abrite une foule d'iguanes marins. Il y a même sur sa côte, une échancrure
étroite dans la lave où viennent, paraît il,
dormir les requins. Nous y retournerons moult fois sans jamais y
voir la queue d'un squale…
L'urgence de l'île de Pâques met un terme à notre vie sauvage à Isabella.Un crochet de deux jours par Santa Cruz pour refaire le plein de frais et les formalités de sortie, puis nous voilà repartis. Le 5 février au soir, nous voyons Santa Cruz disparaître à l'horizon. Au milieu de la nuit, nous longeons l’île de Santa Maria par l'Ouest , et le matin les Galápagos ont disparu. Nous nous installons dans la routine d'une longue traversée vers Pâques. Deux mille milles et vingt jours en perspective. Nous prévoyons de descendre sud sur environ 400 milles, pour longer par l'Est une zone réputée inconfortable, large de 200 milles et qui s'étale à l'Ouest du 90ème méridien, jusqu'au 8ème sud. Ca nous promet une première semaine de près serré. Mais on sait que le bonheur du portant nous guette et que le temps travaille pour nous. Nous naviguons ainsi, depuis trois jours, entre 90 et 91° W à la lisière de la zone à éviter, dans des vents plutôt légers. La défection de l'étai volageLa nuit du 7 au 8 s'annonce ventée et vers 23 heures, nous prenons un ris et quelques tours de génois. La mer est un peu confuse, mais ca reste acceptable. Vers 4 heures du matin, Anyvonne réveille Gérard: -Viens voir, j'ai entendu un bruit sec, et je trouve que le pataras a l'air tout mou… C'est le genre d'information qui réveille le capitaine. Vite un gilet et sur le pont! Effectivement le pataras paraît bien mou. Vite un saut à l'avant: là aussi, l'enrouleur de génois paraît tout chose. Il pendouille même. C'est clair, l'étai s’est rompu. Vite on abat vent arrière et on masque le génois avec la grand voile. Vite on essaie de mettre à poste l'étai largable qui, comme son nom le laisse entendre, est effectivement largué. Mais un étai largable bien réglé au port quand l'étai est tendu, ne veut absolument pas se mettre en place dans le clapot désordonné quand l'étai n'est plus là. Il faut faire appel à des clés plates qui ne sont jamais les bonnes,pour desserrer les ridoirs et réussir à crocher la chape de fixation sur le pont. Mais enfin c'est fait avant que le mat ne tombe! L'urgent étant assuré, on se repose quelques instants. Vent arrière on ne risque rien d'immédiat. Mais il va quand même falloir amener le génois. Et comme c'est lui qui tient l'enrouleur et que plusieurs tours étaient pris??? Finalement, après deux bonnes heures de bagarre sur le pont, tout est enfin à plat: le génois "ferlé" autour de l'enrouleur qui lui, est plié en épingle à cheveux par le milieu. Malgré cela, l'ensemble déborde quand même de plusieurs mètres à l'avant et plonge dans le clapot. On réussit à le reculer un peu, et à soulager avec une drisse. Il reste à envoyer un foc sur l'étai largable pour que le bateau redevienne manœuvrant et navigable. On peut alors attendre et réfléchir. Attendre au moins que le jour se lève vraiment
et se reposer un peu.
Le jeudi 8 à 17 heure 30 on empanne avant la tombée
de la nuit et on repart cap au 30.
Le retour du bateau prodigue…Le dimanche midi, comme prévu, nous mouillons à notre place habituelle devant Puerto Villamil. Après un peu de repos, le capitaine fait une excursion en tête de mat. Il en revient avec une idée plus précise de ce qu'était la pièce qui a cassé. Il peut même en faire un dessin et le faxer à Ma'Ohi pour qu'il fasse usiner une pièce de remplacement, avant de partir d'Esmeraldas. On verra le résultat dans une quinzaine de jours Dans le même temps, il tente par une succession d'Emails de faire envoyer de France une pièce de rechange originale. C'est manifestement une pièce sensible et il a des doutes sur l'approximation du dessin qu'il a reconstitué. On verra ce qui arrivera… En attendant, l'enrouleur a été entièrement démonté. A la scie, à la perceuse et au marteau… Certains profils ont pu être redressés et nous avions des rechanges pour ceux qui ne le pouvaient pas. Les accrocs du génois n'étaient pas très importants et quelques pièces en ont eu raison. Nous sommes donc prêts à remonter quand nous aurons la pièce manquante. A ce jour, nous rédigeons la gazette en attendant;
nous nous baignons avec les otaries et les fous à pattes bleues...
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