Introduction
La Guyane, c'est quoi pour vous qui n'y êtes jamais
venus?
Dans le désordre:
- Un des quatre vingt dix et quelques départements
français?
- Un centre de lancement de fusées et de satellites?
- Un bagne?
- La forêt tropicale? humide? avec des bêtes
pas sympathiques???
Quelque case que vous ayez cochée, vous avez un
peu raison. C'est un peu tout cela. Et quand, comme Anyvonne, on ne s'intéresse
pas vraiment à la recherche spatiale, que l'on craint l'humidité
et les bestioles pas sympas, l'enthousiasme n'est pas au rendez-vous.
Enfin, c'est un territoire français. Donc une
source de facilités pour régler quelques vieux problèmes
de banque, de santé, de courrier, de vivres "typiques" (comme
le pâté Hénaff).
Et on les réglera. Avec parfois quelques surprises: Le
courrier dont on croyait naïvement qu'il arrivait à destination
sous 3 jours, comme partout en France, est supposé prendre ici
2 semaines pour faire le parcours. L'océan Atlantique est large,
finalement. Ou alors nos lettres arrivent, elles aussi, à la voile.
En fait, elles mettront une semaine. Ne soyons pas mauvaises langues!
Nous arrivons donc ici avec un esprit très volontariste
de gens pressés: "On va régler tout ça vite et bien,
en une semaine maxi" .Il nous faudra bien déchanter, s'adapter,
attendre.Il nous en coûtera finalement deux semaines. Nous en profiterons
pour visiter un peu le pays et nous ne le regretterons pas.
Cayenne et
ses environs (carte)
Degrad De Cannes
Un port de commerce au milieu de rien et une administration
plutôt conciliante....
Nous arrivons le 9 juin en fin d'après midi
à Dégrad des Cannes. Situé à l'embouchure du
fleuve Mahury c'est le port de commerce de Cayenne, dont le centre
se trouve à 15 kilomètres de là. Après avoir
parcouru un chenal rectiligne, long de près de 4 milles et dragué
régulièrement à 5 mètres, à travers
des fonds de vase couverts par moins d'un mètre d'eau;nous laissons
sur tribord le quai des gros navires pour découvrir quelques pontons
tout neufs et vides. (enfin seulement occupés par quelques pêcheurs
à la ligne locaux). Perplexité.
Des pêcheurs nous expliquent que « les travaux
d'aménagement de la marina (parking, eau, électricité,
bâtiments d'administration) sont en cours, que ce n'est pas terminé.
Et que donc c'est interdit aux bateaux. Et qu'en plus ce n'est pas sûr,
parce qu'on y vole beaucoup... Vous savez, avec tous ces réfugiés
clandestins » .
Nous y resterons tout de même la nuit et nous ne
serons ni dévalisés, ni expulsés.
Le lendemain matin, notre bonne volonté à
régler les problèmes administratifs sera vite récompensée.
En nous rendant à pied au port de commerce pour y rencontrer les
autorités, nous apprenons que le 10 Juin est l'anniversaire de l'abolition
de l'esclavage en 1848 et que c'est ici un jour de fête férié
et chômé.
Nous y trouverons tout de même un "commandant
du port" qui passait là par hasard, sera très ému
de notre zèle citoyen et nous conseillera d'aller mouiller plus
en amont. Il prend note du nom de notre bateau et nous apprend que ce seront
là les seules formalités obligatoires à Cayenne.
Plutôt contents nous remettons en route vers l'amont
du fleuve. La
remontée est vraiment très belle: Ciels orageux, grains pluvieux
à ne plus voir les berges, orée de forêt apparemment
impénétrable, cris d'oiseaux. On y est, on côtoie enfin
la Vraie Jungle!!!
Stoupan
Un mouillage au milieu de pas grand chose, mais surtout
loin de tout....
Une douzaine de voiliers est mouillée là,
au milieu du fleuve, sur des corps morts. Ils sont plus ou moins verdâtres
et sont tous habillés en "bateau ventouse": des tauds hauts, longs,
larges et plus ou moins fixes qui recouvrent largement les ponts.
Ici, c'est un mouillage de longue durée.
Rien
autour, que la jungle et une base d'entraînement du 9ème RIMA.
Un point d'eau aussi, qui explique la profusion de voiliers. Plus loin,
au bord de la route, un fabricant de pain industriel qui déteste
paraît-il les "métros" et plus particulièrement les
voileux.
La plus proche cabine téléphonique se trouve
à 2 kilomètres, dans le bourg de Roura.
Une petite route en cul-de-sac permet de rejoindre, à
deux ou trois cents mètres, la route qui relie Roura à Cayenne.
A 30 kilomètres de Cayenne, au fond d'une rivière,
sans transports en commun, sans téléphone. Le désespoir
nous guette et notre optimisme pour régler nos problèmes
en un clin d'oeil fond quelque peu.
Et puis il pleut.
Question: « Pourquoi les voiliers au mouillage
remontent-ils tous leur annexe la nuit, en enlevant le bouchon de vidange?
»
Réponse: « Parce que dans la nuit, la pluie
remplit complètement ladite annexe et que si elle n'est pas gonflable,
elle coule. Et que de toutes façons, le moteur baignerait dans l'eau.
»
Sans commentaire.
Contacts radios
Tout se ligue pour nous remonter le moral...
Les liaisons radio que nous continuons d'entretenir avec
quelques bateaux amis nous apprennent une nouvelle qui nous navre:
Galapiat, ce bateau avec l'équipage duquel nous
avions assisté au carnaval de Salvador, a coulé. Il faisait
partie du rallye des Iles du Soleil et était passé par ici
fin mars. Peu après avoir quitté la Guyane, il a heurté
en pleine nuit un corps flottant non identifié, au large du Suriname.
La voie d'eau qui s'est ouverte dans sa coque en acier n'a pas pu être
étanchée et il aurait coulé en quelques minutes. L'équipage
complet a été récupéré dans son canot
de survie par un pétrolier, après avoir déclenché
sa balise de détresse.
Si on peut parler de fin "heureuse", nous imaginons
la détresse de ces gens qui avaient passé dix ans de leur
vie à construire ce bateau.
Qu'ils en retrouvent un autre au plus tôt!
Cette nouvelle nous est confirmée par Fabien,
un voisin de mouillage. Elle est même aggravée d'une autre:
Méaban, un Sun Fizz du même rallye, avec
l'équipage duquel nous avions aussi sympathisé, a été
victime d'une collision avec un cargo,
peu après avoir quitté la Guyane. Moins dramatique, cet accident
a épargné le bateau mais a causé quelques dégâts
dans la mâture. Une barre de flèche a semble-t-il été
arrachée; mais le mât ne serait pas tombé. Il semblerait
qu'une réparation de fortune (qui a du être acrobatique) ait
permis à Jean et Christiane de poursuivre leur route.
Excursion à Cayenne
Où il n'est point nécessaire d'espérer
pour entreprendre...
Le vendredi 11 Juin, nous reprenons courage et débarquons
vers 9 heures pour essayer de rejoindre Cayenne. Il est trop tard pour
être emmenés par les "locaux" du mouillage, qui partent
travailler vers 7 - 8 heures. 10 minutes de stop sur la route Roura-Cayenne
et nous voilà embarqués par un préretraité
du service des eaux de la ville de Paris. Sympa et assez bavard, il nous
renseigne un peu sur l'endroit et nous dépose en plein centre ville.
Et là, on retrouve la France avec sa "maison
de la presse" (mais très chère), sa terrasse du café
des palmistes (cher aussi), ses magasins de mode.
On flâne dans des rues. En essayant d'y trouver
de l'intérêt.
On croise des gens qui paraissent moroses, peu avenants
et pas souriants. Ca change du Brésil et du Cap Vert.
Les seuls sourires (commerciaux) que nous croisons sont
ceux des commerçants chinois qui jalonnent les rues, monopolisent
le commerce de "quincaillerie-épicerie-bazar-plastiques"
et semblent constituer le coeur de la vie économique locale. Ce
magasins sont ouverts toute la journée, contrairement aux autres
qui ferment entre midi et quinze heures.
Est ce notre « bonne culture française »
qui réussit à rendre triste et terne un peuple qui partout
ailleurs est plutôt gai et accueillant?
...Ni de réussir pour persévérer...
Allez, courage. Cherchons La Poste. On nous avait indiqué
à Récife l'adresse de la poste principale et c'est là
que nous avons fait expédier notre courrier, Poste Restante. C'était
oublier que nous étions à pied. Ce bureau est situé
à la sortie de la ville. 3 kilomètres d'avenue rectiligne
sans beaucoup d'ombre (il y a pourtant un bureau superbe en plein centre
ville). Nous n'y arriverons pas avant midi 10 et l'angoisse nous prend
en chemin: Et si ça fermait entre midi et deux. La Poste est en
vue et Ouiiiiii, c'est ouvert! Mais pas de courrier. L'équipage
est un peu déprimé. Il n'avait pas prévu de rester
ici 3 semaines. Anyvonne imagine déjà les branchies lui pousser,
au fond de sa rivière d'eau marron en cul de sac.
Gérard sauve le moral des troupes en suggérant
de louer une voiture la semaine prochaine et d'aller visiter le pays.
Mais en attendant, il nous faut décrypter
l'organisation des transports en commun
On retourne donc en ville pour préparer notre
retour en bus de ce soir. Les minibus sont stationnés au bord du
canal, près d'un marché aux poissons très odorant.
Ceux qui déservent Stoupan ne sont pas légion.
Nous nous renseignons auprès des chauffeurs présents:
- Un bus pour Stoupan??? Y en a un qui vient de partir...
- AH!!!.... Il y en aura un autre?
- Mmmouais.... Peut être...
-Vers quelle heure ???
-Sais pas....
-Plus tard??..
- Oh oui.... Sans doute....
-Vers 16 heures???
-Peut être...
-Plutôt vers 17 heures???
-C'est possible...
Ca y est, on a retrouvé le côté africain
de la Guyane, tout n'est pas perdu! On est revenu au Cap Vert: "On partira
peut-être. Quand on sera plein..."
On reviendra donc vers 16 heures 30 pour surveiller le
bus qui irait vers Stoupan.
Un Leader Price, à côté nous permettra
de faire quelques courses.
Et l'attente commence.
Un chauffeur:
-Le bus pour Stoupan??? Je ne l'ai pas vu
Un autre:
-Il est parti il y a une heure
-Mais il va revenir?
-Oui, sans doute. Je ne sais pas. C'est un bus vert.
Et pendant ce temps là, plein de bus partent vers
Matoury qui est un gros bourg situé à mi chemin de Stoupan.
Une organisation qui réserve quelques surprises,
et quelquefois des bonnes
Décidés
à sauver les meubles, on monte dans un bus pour Matoury. Ce sera
toujours ça de pris. Il ne nous restera plus que 15 kilomètres.
A pied...
Débarquement à Matoury. Essais de Stop.
Et ça marche immédiatement!
Une automobiliste "métro", la quarantaine souriante
(ça change), ne se laisse pas impressionner par nos deux énormes
sacs de courses et s'arrête pour s'enquérir de notre destination.
Elle se rend à l'aéroport, à quelques kilomètres
de là et nous propose de nous avancer un peu.
C'est une Marseillaise émigrée qui, en
parlant abondamment, se déroutera complètement pour nous
amener jusqu'à notre destination.
Et elle semble avoir vraiment très envie de bavarder:
"J'en ai marre de ce pays et de cette humidité....
Je m'envole demain pour l'Aveyron où j'ai une maison de vacances.
Cet été, je veux visiter la Bretagne. Je suis ici depuis
moins de deux ans et je ne rêve plus que de métropole et de
fraîcheur. Le climat d'ici ramollit tout. Supprime toute vigueur...
Ben dis donc!
On lui propose de venir boire un verre à bord.
Elle refuse: « Rien que l'idée de monter dans l'annexe lui
donne le mal de mer ».
Enfin, elle admire malgré tout ce que l'on fait
et nous confie que « son mari adore le bateau. Il tente
bien de l'y entraîner, mais jusque là elle a résisté
».
Ce fût une rencontre bien sympathique.
Vive le stop dirait François.
Les rencontres
...ne seront d'ailleurs pas légion...
Les bateaux au mouillage à Stoupan, sont habités
d'équipages qui ont sur l'instant d'autres soucis que leur bateau
et leur voyage. Le remplissage de la caisse de bord semble être le
problème commun et cela peut être long: un, deux, trois ans.
Certains, plus.
En attendant, nous avons l'impression, sur notre bateau
de passage, d'être un peu des intrus. Seul un apéro avec un
couple de suisses établis ici depuis deux ans et en attente de naturalisation
française, nous permettra un contact avec cette population.
Heureusement, à côté de nous, un
couple d'alsaciens, émigrés ici depuis dix ans et qui viennent
de se mettre en préretraite, projettent pour septembre un départ
en voyage sur un bateau qu'ils ont acheté ici et qu'ils préparent
activement. Nous établissons avec eux une relation que nous aurions
aimé poursuivre.
Mardi, Anyvonne a l'occasion de parler un peu profondément
avec une "vraie" Guyanaise. (Comprendre Créole) Celle-ci lui explique
que les Guyanais
sont très fâchés après le gouvernement «
métro » qui ferme les yeux sur l'immigration locale. La frontière
est soit carrément ouverte (Hmongs, Chinois, Libanais, Haïtiens),
soit complètement "percée" pour les clandestins Surinamiens,
Brésiliens.
En fait ce serait une politique menée de façon
déterminée, pour mettre les "vrais" Guyanais en minorité.
A Cayenne, il est vrai ,le commerce est largement
dominé par les épiceries-bazar Chinois, les magasins de tissus
et d'habillement Libanais et les marchands de légumes Hmongs. Autre
son de cloche, émis par les métros établis ici de
longue date: "C'est clair que les émigrés bossent
vraiment, et qu'il font tourner une économie autrement plus active
que les locaux."
Où est la vérité, sinon dans le
fait que la coexistence de la tradition et du mouvement est difficile.
Un peu de
tourisme en terre française (carte)
Afin de ne pas devenir chèvres au fond de notre
rivière, nous louons une Twingo pour une semaine, avec un programme
de visite du pays assez chargé....
Nous attaquons par le plus médiatisé:
Kourou et
son port spatial européen.
C'est là, comme nul ne l'ignore, que se poursuit
la réalisation de la superbe série télévisée:
"Autant en emporte Ariane". Nous partons donc à la recherche des
raisons d'un tel succès.
Le site fut créé ici en 1964 après
avoir été choisi selon les critères suivants:
-Proximité de l'équateur (latitude 5°
3' nord)
-Large ouverture sur l'océan ( Possibilités
de lancement vers le nord et vers l'est.)
-Absence de cyclones et de tremblements de terre.
-Faible densité de population
Des visites du site sont organisées tous les jours,
en car. Nous n'aurons pas la chance d'assister à un tir.
Nous ne verrons pas non plus de vraie fusée. Seuls
quelques conteneurs dispersés sur le site contenaient les éléments
non encore déballés de la prochaine fusée. Je ne sais
quel problème amenait un retard considérable, mais il n'était
pas prévu de tir avant fin Août. Heureusement nous verrons
une maquette grandeur nature d'Ariane V qui permet de se faire une idée
de la bête.
Anyvonne est agréablement surprise, c'est moins
pire qu'elle ne le craignait. Elle ne s'est pas endormie et s'est même
laissé intéresser par le baratin de nos accompagnatrices.
Gérard avait l'impression de se balader dans l'album
de Tintin "Objectif Lune" avec en plus des hôtesses-guides bien
plus sympathiques à regarder que le professeur Tournesol.
Pas de regrets donc. On est plutôt contents.
La prochaine étape sera beaucoup moins technologique.
Ce sera la ponte des tortues Luths.
La ponte des tortues Luth
Sur la plage des Hattes à Awala-Yalimapo
Le site se trouve à 260 kilomètres au nord
ouest de Cayenne. C'est une plage qui s'étend sur 5 Kms entre les
embouchures des fleuves Maroni et Mana, sur le territoire des amérindiens
Katinas.
Elle
connaît une réputation internationale, grâce à
la ponte des tortues
Luth. De ce fait on y constate une grande affluence touristique de
mai à juillet, pendant la période de ponte et d'éclosion.
Après une nuit passée au gîte rural
de Mana, nous arrivons sur la plage à 8 heures. Pas l'ombre d'une
tortue...
Par contre, quasiment toute la plage semble avoir été retournée
au bulldozer. Et vu l'humidité du sable, cela s'est fait cette nuit.
Renseignements pris auprès d'un membre de la mission
locale du WWF, il vaut mieux venir de nuit et surtout au moment de la
marée haute. (La distance à couvrir par les tortues est ainsi
moins longue)
Notre sang d'aventuriers ne fait qu'un tour et nous courons
à St Jean du Maroni acheter le nécessaire: Des hamacs et
des moustiquaires, pour nous installer cette nuit dans un carbet (sorte
de hutte ouverte et dotée d'un toit de palmes) devant la plage et
garder toutes nos chances d'assister au spectacle.
Le lieu est réputé pour concentrer presque
tous les moustiques de Guyane. Nous nous couvrons donc des pieds à
la tête et nous enduisons abondamment de produit répulsif,
dès la nuit tombante. Après avoir installé nos hamacs,
nous entamons notre ronde sur la plage, à guetter nos tortues.
Deux heures durant, nous verrons ainsi une demi douzaine
de tortues aux différents stades de la ponte. Le spectacle
est fascinant et émouvant: Imaginez un monstre d'1 mètre
80 de long, pesant environ 500 kilos. Il remonte péniblement jusqu'en
haut de la plage, centimètre par centimètre. Il creuse alors
en ahanant, un énorme trou de 80 cm de profondeur, pour y pondre
une centaine d'oeufs. Il faut encore reboucher le trou, tenter de le camoufler
en égalisant le sable. Et enfin retrouver le chemin de la mer.
Le retour vers la mer semble encore plus pénible
que l'ascension de la plage. Les tortues paraissent épuisées.
Certaines vont se perdre dans les dunes, avant de faire demi tour et de
retrouver leur chemin. La ponte dure en moyenne une heure et demie.
Cette nuit, la chance nous sourira vraiment. En effet
et c'est assez rare un soir de ponte, nous assisterons à l'éclosion
d'une centaine de bébés tortues. Nous sommes vers la fin
de la période de ponte et celle de l'éclosion commence à
peine. C'est donc avec surprise et bonheur que nous découvrons à
nos pieds ces minuscules promesses de monstres. Etourdiment, pour mieux
voir, nous allumons une lampe torche et voyons la foule des nouveaux nés
se précipiter vers nos pieds. C'est l'erreur à ne pas commettre.
Les jeunes tortues, à leur sortie du nid, reconnaissent la mer à
la lueur qu'elle reflète et se dirigent ainsi vers elle. Il nous
reste à diriger la lampe vers la mer et la procession reprend le
droit chemin.
Après
ce spectacle somptueux, nous regagnons nos pénates. En l'occurrence
nos hamacs sous leur carbet.
Une demi heure plus tard, Gérard et Anyvonne se
consultent:
- Tu ne sens rien toi ?
- Si, on dirait que les moustiques nous piquent à
travers le hamac
- Oui, c'est aussi mon impression
Il faut dire que nous sommes couchés tout habillés
et que les bords de la moustiquaire sont bordés dans les hamacs
pour que les moustiques n'y pénètrent pas (l'erreur à
ne pas commettre...).
Une heure plus tard, la pluie commence à tomber
et goutte à travers les palmes du toit.
G: - C'est sûr, les moustiques nous piquent
à travers les hamacs. J'ai l'impression d'avoir les fesses comme
un chou fleur.
A: - Moi aussi, pas loin. Et en plus on est tout
mouillés. Si on rentrait au bateau ???
- Si tu conduis, moi je veux bien. Tu ne regretteras
pas le réveil au lever du soleil sur cette plage "nature et découverte", façon grands aventuriers ?
- Non. Non, j'assume.
- Bon, alors on y va.
C'est donc sous une pluie battante, que nous regagnons
la voiture.
On
ouvre le coffre et à la lueur de la lampe torche on peut voir un
nuage de moustiques se précipiter à l'intérieur. La
totale.
Soit on est trop vieux, soit on n'est pas encore au point,
mais clairement on n'est pas encore prêt pour la grande aventure.
Assumons donc.
Deux heures de route, deux de sommeil puis deux de route
encore, et au petit matin nous arrivons au bateau. Fatigués mais
contents.
La crique Gabriel
Dans le vocabulaire d'ici, le mot crique désigne
tout affluent d'un fleuve.
La crique Gabriel est une petite rivière qui débouche
dans le Mahury à quelques cents mètres en amont du mouillage
de Stoupan. C'est paraît il une belle promenade à faire en
canot. Nous la ferons en annexe, en partant en fin de flux pour profiter
de la renverse du courant au bout de notre exploration.
Cette crique serpente au sein d'une magnifique forêt
galerie, bordée d'arbres, souches et lianes superbes. Avant notre
passage, la surface de l'eau est lisse comme un miroir et les racines qui
se reflètent dans l'eau forment des dessins étranges et fascinants.
On cherche à apercevoir des animaux (serpents,
félins, oiseaux) mais nous ne sommes pas au zoo et notre moteur
fait sans doute trop de bruit. Nous ne voyons pas grand chose.
Pas
de doute, le meilleur moyen pour ces promenades est vraiment le canoë
kayak.
Nous verrons tout de même un paresseux, descendu
le long d'un tronc, au ras de l'eau.
Nous verrons aussi des papillons . Les "Morphos" sont
de superbes papillons bleu métallique bien plus grands que "ceux
de chez nous". Par endroit, ils pullulent le long de la crique. Enfin,
nous, nous n'en verrons que quelques uns.
Brusquement, la crique sort de la forêt galerie
pour serpenter à travers une plaine de marécages et de savane.
La lumière nous inonde.
Nous voila près de la source de la crique, au
pied de la montagne Gabriel qui est un lieu historique:
En 1712, Gabriel, un chef de bande d'esclaves évadés
se noya au pied de cette montagne, en voulant échapper à
un détachement de militaires qui étaient à sa recherche.
Vers la fin du 18ème siècle, Pierre Poivre
(Alors intendant de l'actuelle île de la Réunion) introduisit
sur ce site des plants d'épices (cannelle, muscade, poivre et girofle.)
La chute des cours des épices plus l'abolition de l'esclavage mirent
fin a l'exploitation. Il n'en reste plus trace.
On coupe le moteur et on savoure le silence et les chants
des oiseaux dans la jungle. On redescend doucement, en se laissant dériver
avec le courant qui s'est inversé.
Heureusement pour nous qu'il s'est inversé, car
quand nous voulons remettre au moteur, celui ci se met à fumer et
clairement, le circuit de refroidissement ne fonctionne plus.
Nous
finirons donc à la "rame pagayante". Pas gai! (Elle est bonne
non ?).
La traversée finale du large fleuve Mahury, pour
rejoindre le bateau, sera même assez pénible. Mais enfin,
nous y arriverons.
Les îles
du Salut
Introduction
Le temps est venu de penser à remettre en route.
Deux journées seront consacrées aux derniers
problèmes techniques, achats de bouteilles de gaz, courrier enfin
arrivé, génois remonté, plein d'eau, téléphone,
plein de vivres frais et c'est le grand départ.
Il nous manquera juste le plein de Gas Oil. Il n'y en
a pas au bord de la rivière et on ne peut pas en acheter au port
de Dégrad des Cannes. Il faudrait donc aller en chercher par bidons,
à une station service située à 10 Kms du mouillage.
Et on a rendu la voiture.
On
se passera donc de Gas Oil.
Et vive la voile, jusqu'à Trinidad, à 1500
milles d'ici.
Finalement, nous quitterons la rivière le
mercredi 23 juin, vers 14 heures avec le jusant.
Pour entamer notre remontée, mais surtout pour
aller visiter les îles du Salut.
Les îles du salut
Elles se composent de trois petites îles situées
à 5 kilomètres au large de Kourou. Ce sont trois petits plateaux
volcaniques situés sur la trajectoire des alizés, donc bien
ventilés et aussi moins arrosés que le continent. Elles tiennent
leur nom du temps où une épidémie ravagea la petite
colonie qui prenait pied sur le continent. Les survivants trouvèrent
leur salut en venant se réfugier ici.
L'évocation
de ces îles reste très liée à l'histoire du
bagne, qui dura
20 ans. Avec son installation et le travail des hommes, les promontoires
rocheux se sont couverts de cocotiers, orangers, citronniers, manguiers
et goyaviers.
Nous ne verrons cela que le jeudi matin, car nous arrivons
de nuit et après avoir vainement cherché un alignement de
deux feux rouges qui devait nous guider, nous mouillons vers 23 heures,
à l'abri de l'île Royale. (En fait, nous sommes sûrement
en France, mais nous sommes surtout en Amérique du sud, là
où les feux ne sont pas fiables).
L'île Royale
Un passé de "chef lieu" de bagne, un avenir
d'hôtellerie ?
Le lendemain matin, nous débarquons en annexe et
sommes accueillis par un gendarme sympathique, qui nous annonce gentiment
que nous sommes mouillés dans la zone de manoeuvre de la barge qui
ravitaille l'île. Tous les jeudis. Et qui doit arriver tout à
l'heure.
Décidément, nous avons le chic pour arriver
au bon moment: Les jours de fête quand tout est fermé, et
les rares jours de passage des bateaux de desserte. Nous retournons donc
à bord et partons mouiller, selon les conseils de notre gendarme,
sous l'île Saint Joseph à deux ou trois centaines de mètres,
juste en face.
L'après midi, nous revenons en annexe, visiter
l'île Royale. C'est la plus grande île de l'archipel et c'était
aussi le centre administratif du bagne.
Les principaux bâtiments et résidences étaient établis
ici: résidence du gouverneur et de tous les cadres, salle des fêtes
et de réception, hôpital, entrepôts, boulangerie, ateliers,
logements de prisonniers aussi.
C'est magnifique, verdoyant, accidenté, mais on
sent aussi que c'est vraiment très chargé d'histoire et que
l'on met ses pieds dans les pas de pauvres gens qui ont plus souffert ici,
qu'ils n'ont admiré le paysage.
Les bâtiments du bagne
qui menaçaient ruine sont réhabilités ou en train
de l'être.
Les annexes de la résidence du gouverneur abritent
une exposition intéressante sur le passé de l'île.
Un local qui devait être d'usage technique, abrite
aujourd'hui un poste de gendarmerie.
Nous venons le visiter pour nous acquitter des formalités
associées au passage d'un voilier , ainsi que nous l'a demandé
le gendarme déjà rencontré. En fait, nous interrompons
la sieste du gendarme de garde qui nous reçoit torse nu (Nous sommes
sous les tropiques). En fait, c'est un stagiaire qui nous apprend que le
gradé est en patrouille et qui s'exécute des formalités.
Malgré sa tenue peu protocolaire, il garde une attitude un peu raide,
ainsi qu'un langage et un ton très service - service. Le décalage
entre le vu et l'entendu est étonnant et amusant.
En sortant de la gendarmerie, nous traversons une grande
place herbeuse et ombragée par de grands arbres, qui est peuplée
d'agoutis. Ce sont de petits mammifères, qui ressemblent à
un croisement entre de gros écureuils et des lièvres. Ils
pullulent ici, où ils sont protégés. Cet animal participe
à la zoochorie en Guyane. Il brise les fruits terriblement durs
du courbaril, dont il se nourrit des graines. Inévitablement, il
laisse échapper quelques graines qui peuvent ainsi germer et qui
n'auraient jamais pu être libérées sans son intervention.
C'est beau, non?
Mais il se met à pleuvoir. A la tropicale. Nous
nous précipitons à travers la place, et nous engouffrons
dans le bâtiment qui servait aux cérémonies et aux
réceptions du gouverneur. Restauré, il a été
affecté à un hotel-restaurant dont le bar sur terrasse couverte
est accueillant et plutôt agréable.
A l'île Saint Joseph
...l'enfer est caché pas loin...
Le lendemain, nous irons nous promener sur l'île
Saint Joseph.
C'est un lieu magique. Sable blanc, cocotiers, eaux cristallines.
On peut en faire le tour par un chemin de ronde bien entretenu par les
légionnaires. Eh oui, c'est leur club de vacances à eux.
L'île leur
est prêtée par le CNES, pour leur servir de centre de détente.
Ambiance BBQ, camaraderie virile, beaux musclés rasés. C'est
le côté soleil.
Le côté sombre: L'île St Joseph était
le centre de réclusion. Les évadés, les fortes têtes,
les punis de toutes sortes. Enfin tous les cas difficiles étaient
enfermés ici. Ambiance.
En s'éloignant du chemin de ronde et en pénétrant
dans la forêt on découvre ce qui reste des "bâtiments
de réclusion cellulaire". C'est sinistre et émouvant.
La nature reprend très vite ses droits ici. Et
la nature est particulièrement exigeante. Les bâtiments sont
envahis, bouffés, étouffés par la végétation
et ses racines monstrueuses: Jusqu'à 40 cm de diamètre, les
racines! Elles s'insinuent, tournent, grimpent, disparaissent en haut d'un
mur, réapparaissent en bas, de l'autre côté. Arpentent
un couloir de 50 mètres de long, traversent un mur et disparaissent
dehors. dans la jungle.
Les bâtiments sont immenses. Des centaines de cellules,
toutes identiques : un bas flanc et une table scellés dans le mur
et c'est tout. En l'air, pas de plafond mais une grille au dessus de laquelle
passait un chemin de ronde. Enfin on devine cela, dont on a vus des croquis
à Royale, ici il n'en reste plus que des souvenirs : des murs qui
s'écroulent et quelques moignons de ferraille rouillés.
On se perd un peu. On se sent oppressé par tout
ce vert, toute cette humidité. Les pieds s'enfoncent dans 40 cm
d'humus, de feuilles, de fruits écrasés et spongieux. La
lumière filtre difficilement là haut.
On retrouve le chemin. Ouf! Le soleil est toujours là.
Et la mer aussi, qui scintille sous le soleil, derrière son rideau
de cocotiers, façon carte postale. On quitte l'atmosphère
Indiana Jones pour celle plus souriante des paysages Club Med.
Enfin
presque, parce qu'un peu plus loin, nous avons droit à une autre
séquence émotion. Le chemin traverse le vieux cimetière.
Une bonne centaine de tombes. Elles sont très délabrées
mais il reste tout de même quelques stèles et inscriptions.
Le cimetière était destiné aux membres du personnel
pénitencier. Ou à leur famille. Les bagnards n'étaient
pas enterrés, ils étaient immergés en mer. On mourait
jeune ici. Je crois que nous n'avons pas vu une tombe mentionnant un mort
de plus de 40 ans.
Impressionnant.
L'île du diable
On
l'aperçoit au loin. Elle est inabordable en bateau, pour cause de
courants violents infestés de requins et de rivage constitué
de grandes plaques de rochers noirs, très glissantes, sur lesquelles
vient se briser la houle. Tout pour plaire.
Quand des lépreux l'occupaient, puis quand le
capitaine Dreyfus y fut détenu, l'île était reliée
à Royale par un câble sur lequel circulait une benne. C'était
le seul moyen de transfert des prisonniers, de ravitaillement et de relève
des gardiens.
La vie ici ne devait être facile pour personne.
Au bout du chemin, le bateau. Ouf!
Nous pourrons, nous aussi, nous évader d'ici
Le 26 juin nous remettons en route. Le vent est plutôt
nord est, et c'est bien dommage car nous voulons nous éloigner de
la côte, en faisant du nord, justement. Et donc, près serré
au "nord nord ouest" pour 24 heures au moins.
A peine les îles du Salut se sont elles éloignées
que nous apercevons, à 1 ou 2 milles sur notre avant, une procession
d'objets bizarres qui viennent à notre rencontre. Les jumelles nous
révèlent des bateau en pêche, dotés de grands
tangons qui tirent des dragues à crevettes. Nous en voyons 5 ou
6 qui se suivent en file à environ 1 mille de distance. Cela leur
donne une allure d'insectes processionnaires. Notre allure nous rapproche
très doucement et la dérive aidant, nous constatons
que nous faisons une route quasiment parallèle. Chaque fois que
nous croisons un de ces bateaux, un autre apparait à l'horizon.
Nous en verrons ainsi une bonne trentaine dans la journée.
Pour éviter de passer la nuit dans cette compagnie,
nous décidons dans l'après midi de virer de bord et de croiser
franchement cette procession . Cela nous fait faire un peu de sud et beaucoup
d'est, mais le soir tombé, nous pourrons nous remettre sur
la bonne route sans plus voir aucun bateau de pêche. La veille sera
plus calme.
Les souvenirs de "Méaban" et surtout de "Galapiat" hantent nos quarts de veille.
Le lendemain nous mettrons progressivement de l'ouest
dans notre cap, pour nous situer à environ 80 milles des côtes
du Suriname, sur la route directe de Tobago.
Avec 7 jours de navigation en perspective, sans difficulté
particulière prévue.
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