Finir la traversée de l’océan IndienAprès deux mois passés à nous prélasser aux Seychelles,
nous commençons à sentir des fourmis dans les safrans… La route vers Madagascar.Sur la zone de l'océan Indien qui sépare les Seychelles de
Madagascar, les alizés de sud-est soufflent régulièrement
de mai à novembre. Les guides nautiques conseillent cette période
pour y entreprendre une navigation sans risque car le reste de l'année
les vents sont plus incertains et surtout c'est la saison des cyclones. Voilà pour les conditions météo.
Quelques malins trouvent des astuces pour obtenir le permis en même
temps que les tampons de sortie; d'autres préfèrent ne rien
prévoir et risquer l'affrontement avec les représentants locaux
des autorités… Pour toutes ces raisons, nous levons l'ancre à Port Launay, sur l'île de Mahé, le 9 mai au petit matin; cap sur Farqhar, la terre la plus sud des Seychelles, à près de 400 milles dans le 280, exactement dans la direction du cap d'Ambre… Si nous réussissons à atteindre cet objectif en serrant un peu le vent, nous aurons alors une petite marge pour laisser porter, au moment de traverser la zone la plus désagréable, au nord du cap d'Ambre. Le premier jour, le vent bien installé au Sud-Est ne dépasse
pas une douzaine de nœuds et la mer reste plate. Confort et bonheur règnent à bord… Il
faut dire que sur Getaway, le second va rarement sans le premier… Ça dure deux jours comme ça… Le 12 mai au petit matin, nous approchons enfin la côte nord de l'île. Si les voies du seigneur sont toujours impénétrables, celle de la passe de Farqhar nous parait bien improbable ce matin… Comme on n'a pas prévu de s'attarder longtemps et qu'à l'endroit où nous sommes, on est déjà bien à l'abri de la mer, on décide de mouiller là plutôt que d'aller dépenser de l'adrénaline dans la passe… Vous avez sans doute remarqué que nous venons, sans trop le dire,
de décider d'une escale imprévue sur notre plan initial… En
effet, c'est peu dire que l'abri offert par cette côte est bienvenu
et nous avons vraiment très envie d'en profiter pour nous reposer un
peu… Convenablement reposés par cette journée de farniente, nous
levons l'ancre et remettons à la voile un peu avant le coucher du soleil. Et comme prévu, sitôt sortis de l'abri de Farqhar, ça
gigote effectivement… Mais nous naviguons maintenant sur une allure
proche du bon plein. La gîte n'est pas si forte et le bateau passe bien
dans les vagues. Ça fait beaucoup moins de bruit que la nuit passée… Au matin, le spectacle est dehors… Vent établi à 30 nœuds,
mer blanche d'écume. Getaway monte et descend avec les vagues et les
creux, mais il ne tape pas et fonce toujours autant. Cette nuit, nous avons
parcouru près de cent milles et le soir venu nous aurons presque couvert
200 milles en 24 heures (195 exactement). C'est un record historique pour
Getaway! Toute la journée suivante se passera au calme, avec quand même
deux ou trois petites tentatives de mettre à la voile, sans grand résultat. Nous succombons donc à la tentation de l'étape et peu avant le coucher du soleil nous laissons filer notre ancre pour la première fois dans les eaux malgaches! Fin de traversée, la croisière va enfin pouvoir commencer à s'amuser…
Madagascar, notre première étape africaine.
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*Karanas: Minorité d'origine indo-pakistanaise, musulmane, prospère, très active dans le commerce. qui sont les principaux propriétaires de l'île |
C'est dans la contre-allée du boulevard De Hell qu'on monte maintenant
vers le centre ville.
A l'ombre des grands arbres, les brodeuses locales
sont installées, au milieu de leur éventaire. Habillées de
mille couleurs, assises par terre, elles brodent et exposent leurs réalisations
pendues à des fils tendus entre les troncs.
Nappes et rideaux ajourés au point "rissélié" (Richelieu:
point de broderie qui permet de couper le tissu autour des motifs) volent
au vent, napperons et chemises brodés de petits bonhommes colorés,
de ravenalas*, de cocotiers, de tortues … animent le sol de leurs
ombres.
C'est magique, on en oublie le laisser aller, la pauvreté, les maisons
de guingois, le salpêtre sur les murs, les rues et les trottoirs défoncés,
pour se mettre enfin à regarder les gens. Ils sont avenants, joyeux,
polis, souriants. Les femmes proposent leurs broderies mais n'insistent
pas trop.
Il fait beau et un petit vent s'allie à l'ombre pour aider à supporter
la chaleur et le soleil qui tape fort.
En haut du boulevard, la promenade se poursuit le long de la rue principale
où s'alignent boutiques de bric à brac et de souvenirs hauts
en couleur, quelques bistrots à touristes, petits restos, quincailleries
minuscules (mais très achalandées si on cherche bien…)
Trois banques aussi, qui sont parmi les seuls bâtiments modernes, entretenus
au standard européen…
Au bout d'un kilomètre, on atteint le marché couvert. Ambiance
animée... Comme dans tout marché tropical on y trouve tous les
produits frais nécessaires; si on veut bien adapter quand même
sa liste de course à ce qui est disponible... C'est là qu'on
commence à remplir les sacs de légumes, de fruits, de crevettes,…
Juste en face du marché, c'est la "Chinoise"; une épicerie
bien pourvue en rhum, fromages, charcuterie, vin rouge,… (vive la France).
Il ne nous reste plus qu'à faire
"
Shampion" sur la route du retour.
Shampion (sic) est un petit super marché aux allures bien de chez
nous, qui offre pas mal de produits français et de conserves variées.
Il abrite aussi une boucherie-charcuterie qui arbore viandes, pâtés
et jambons, des produits aux allures très européennes, dans
une grande vitrine réfrigérée à grand peine.
Gare aux coupures d'électricité permanentes! Et aux groupes électrogène
et froid qui sont sans doute moins permanents…
A partir de là, nos bras commencent à s'allonger sérieusement
sous le poids des sacs. Encore un effort de 200 mètres sur le chemin
du retour et on s'arrête enfin au "Saloon"… C'est notre
restaurant favori où on retrouve le sourire de sa jolie serveuse ainsi
que nos amis Zakia et Alain qui ont fait le même parcours que nous…
Jus de fruit pressé - délicieux - puis menu du jour ou brochettes
de poisson… Mais surtout, repos bien mérité!!!
Vers 14 heures arrive le moment du retour. Pour éviter de s'allonger
encore les bras et de s'épuiser complètement, on hèle
alors un taxi.
La découverte des taxis de Nosy Be a été une surprise:
Ce sont presque exclusivement des 4L… Garanties d'époque. A côté des
gros 4x4 modernes - qui ne sont pas nombreux - c'est quasiment la voiture
standard de l'île. La plupart du temps, lourdement surchargées
de passagers nombreux (couramment 6 personnes) et de ballots arrimés
dessus ou entassés dedans, le cul à ras de terre, elles se traînent
de trous d'eau en nids de poules… Chaleur, bruit… Leur vie est
difficile et leur maintenance un miracle de débrouillardise. La pièce
détachée de 4L est un commerce actif à Nosy Be. Mais
pas de pièces neuves… On répare, bricole, déshabille
Paul pour habiller Jacques et chaque voiture doit aujourd'hui ses composants à une
bonne douzaine de véhicules initiaux…
Mais enfin, malgré les amortisseurs absents et les sièges défoncés, on y entasse nos achats, nos corps fatigués et hop! Retour aux bateaux et rangement des courses sur Getaway avant de songer à mettre à la voile vers les mouillages de rêve qui entourent Nosy Be.
Vous venez d'assister à une "journée courses" type,
comme nous en vivons une tous les dix jours environ.
Demain, c’est promis, on vous emmènera chez Yolande.
Située à deux milles au sud de Nosy Be, c'est une île assez fréquentée par les touristes et plutôt bien pourvue en hôtels (dans le contexte de l'équipement de la région: 5/6 petits hôtels sur toute l'île.
En fait, le tourisme se concentre surtout sur le village d'Ampangorina qui
se trouve sur la côte nord, au bout de l'île, en face de Nosy
Be. C'est là que débarquent les visiteurs, après une
traversée d'une demi heure en "speed boat" depuis le port
de Hellville.
Une belle plage borde ce village malgache, aux cases serrées très
fort les unes contre les autres… La population est dense: on parle de
7000 habitants, sur une surface inférieure à celle d'un petit
bourg breton….
On oublie vite Hellville et ses bâtiments coloniaux délabrés.
Ici les "rues" en sable se faufilent entre les cases construites
en pur végétal. De ci, de là, des boutiques de souvenirs
artisanaux, des broderies qui volent au vent pendues à des fils à linge… Partout
des gens s'occupent devant leur porte, brodent, papotent, vous hèlent… Bonjour… Un
petit lavoir public rassemble les lavandières (sauf le mardi, parce
que c'est "fady"*)…
C'est bon enfant et sympa. Un air de campagne de par chez nous il y a cinquante
ans. En fait, on croise peu de touristes dans le village; ce n'est pas du
tout l'arrivée au Mont Saint Michel…
C'est une île réputée aussi pour son importante population de makis. Ce sont des lémuriens, parents des singes qui ont suivi une évolution différente et qu'on rencontre presque exclusivement à Madagascar. On dit qu'ils existent encore ici, parce que justement il n'y a pas de singes; alors que partout ailleurs dans le monde ils auraient été exterminés par ces derniers.
On mouille Getaway un peu à l'écart de la grande plage, devant une petite crique de sable où on débarque au pied d'une maison accueillante, avec terrasse ombragée, fauteuils, et bar…
Et là c'est le grand spectacle. Comme nous sommes des amis de Zakia
et Alain, au nom du principe "les amis de mes amis sont mes amis",
Yolande transforme notre accueil en un torrent d'effusions chaleureuses, de
cris de joie, de bises nombreuses et d'embrassades serrées… Déjà dans
la rue de Hellville nous avions croisé Yolande que Mamadou, notre chauffeur
de taxi préféré, nous avait présentée et
nous avions alors eu droit à une première volée de bisous…
C'est donc peu dire qu'on est accueillis à bras ouverts… Et ce
n'est pas qu'une image!
Quel plaisir de voir s'exprimer autant de chaleur humaine… On a beau
dire: même si on peut penser qu'il y a là comme un air de spectacle,
on constate qu'un peu d'excès de démonstrations fait plus de
bien que trop de retenue et de froideur (pour ne pas dire de "gueule
en coin", à l'occidentale) et apporte du bonheur.
Mais on est aussi venus là pour manger:
- Poisson grillé pêché ce matin. Ca vous va?
- Un peu mon neveu que ça nous va!
- Alors c'est parti. Vous voulez boire quelque chose en attendant?
En attendant?
Eh oui, il faut s'armer de patience car ici, comme dans presque tous les
restaus malgaches, la cuisine est faite à la demande…
Préparation des légumes et allumage des feux de charbon de bois
compris… Alors c'est clair, le service sera long… Histoire de
rappeler qu'on n'est pas en Europe, qu'on a la vie devant soi, de la bière
fraîche à volonté et que ça ne sert à rien
de s'énerver les nerfs.
Et la vie coule… Douce…
Bon mais c'est pas tout ça, l'homme ne vit pas que pour manger, il
faudrait quand même se remuer un peu:
- Yvonne fait toujours ses balades accompagnées dans la montagne?
- Ouiii! bien sûr… Demain matin à 8 heures j'ai déjà quatre
touristes qui veulent y aller. Si vous voulez vous joindre à eux…
- D'accord pour demain matin.
- Pas de problème, je vous arrange ça.
Il faut savoir qu'en plus de son restaurant, Yolande accueille quelques
hôtes en demi pension, dans des bungalows (simples) avec vue imprenable
sur la mer, pour un prix dérisoire... Visites impromptues de makis
en prime… "So romantic"…
Nous reviendrons souvent chez Yolande; ne serait ce que pour bidonner un
peu d'eau potable pour nos réservoirs, au robinet de sa cuisine…
Le lendemain matin, nous sommes à pied
d'œuvre
pour la balade avec Yvonne.
Notre guide a presque 70 ans. Bon pied, bon œil, mince comme un clou,
vive et dynamique.
Sachant que l'espérance de vie à Madagascar est d'environ 55 ans, elle est une exception statistique…
Deux familles de touristes français, venus en voisins depuis Mayotte,
nous accompagnent pour cette promenade .
Et c'est parti… Sur un terrain assez pentu... Mais on y va doucement!
Yvonne commente les arbres et les plantes croisés en route: ceci est
bon pour le ventre, la toux, les frictions du dos, les maux de dents…
Cours de médecine traditionnelle… On ne note rien, donc on mélange
tout, mais quelle importance? La musique est aussi importante que les paroles.
Le sommet de la colline est atteint juste avant midi et là, dans un
hameau tout proche, on nous prépare un repas traditionnel malgache
qui nous sera servi par les jeunes filles du village.
Le réconfort après l'effort…
La descente sera digestive et tranquille dans l'après midi.
A l'arrivée, en guise d'adieu,Yvonne passe aux cous des dames des colliers
de graines et coquillages qu'elle a tressés…
A une dizaine de milles plus à l'Est, on atteint Nosy faly. C'est
une petite île, située à l'extrémité de
la longue presqu'île d'Ambato ( sur la grande île de Madagascar),
dont elle est séparée par un étroite passe, longue de
près de deux milles. C'est là qu'on mouille, bien à l'abri
de la mer et du vent.
Notre mouillage est tout proche de deux villages, installés face à face
sur chaque rive du bras de mer. On peut donc choisir entre deux lieux de débarquement
selon l'humeur du jour...
Ces villages sont nettement plus "roots" que ceux de Nosy Komba
ou de Nosy Be et les touristes sont très rares à venir jusque
là. Par la terre, il faut affronter des heures de taxi brousse éreintantes
pour aboutir à l'extrémité de cette presqu'île
où il n'y a rien à voir.
Pas d'hôtel, quelques restos très "ethniques" et la
vie comme au 19ème siècle…
Le village installé sur l'île est surtout occupé par des
pêcheurs venus de la grande terre pour la saison de pêche au
"maluca" (c'est
une sorte de maquereau). Hors saison c'était autrefois un village fantôme
mais il semble que, sans doute poussés par la croissance de la population
malgache, pas mal de gens s'y sédentarisent maintenant.
En période de pêche, plusieurs centaines de pirogues occupent
le rivage à marée basse. Au petit jour, quand la flottille prend
la mer à la voile pour aller déployer ses filets, c'est un spectacle
superbe et un peu irréel. A ne pas manquer… Le même spectacle
se reproduit d'ailleurs quelques heures plus tard, à marée haute,
quand toutes ces pirogues, alourdies jusqu'à la limite de flottaison,
rapportent leur pêche, avec juste quelques centimètres de bordé qui émergent
de la surface de l'eau.
Alain nous a emmenés ici pour voir ça, et il avait bien raison.
Chacune de nos visites dans le village de l'île sera accompagnée
par une dizaine de marmots criant sans se lasser: "Salut vahasa… Salut
vahasa…" (Vahasa signifie étranger en malgache. Surtout étranger
blanc.).
Bonjour! Bonjour!
Ils sont contents: on sera la seule attraction de la semaine, leur télé à eux…
Partout dans le village les adultes travaillent pour la pêche: préparation
et ravaudage des filets tendus à sécher le long des cocotiers,
parure et séchage du poisson au soleil sur des claies surélevées
installées dans tous les espaces libres entre les huttes …
Les regards sont quelquefois méfiants, jamais agressifs et souvent
avenants.
Quand on traverse le village installé sur la presqu'île, les
gens et les enfants sont plus indifférents à notre égard.
Il faut dire qu'eux voient passer tous les jours au moins deux véhicules:
le taxi brousse de la journée et le camion qui collecte le fruit de
la pêche de ceux d'en face.
Cet endroit est aussi connu pour ses "mabibi" (noix de cajou, amande
de l'anacardier) qui sont récoltées et grillées sur place
au mois d'août. C'est un produit important pour l'exportation, dont le
prix à la production est multiplié par 100? quand elles sont
vendues en Europe… Commerce équitable qu'ils disaient!!!
Un avantage appréciable de Nosy Faly: le mouillage est peu connu, l'entrée en est délicate et on y est le plus souvent quasiment seuls. Juste quelques rares navettes, qui font la liaison avec Nosy Be, troublent de temps à autres la quiétude de l'endroit…
Mais continuons notre tour, hors des entiers battus
C'est une toute petite île, située tout près de la côte
de la grande terre au fond de la baie d'Ampasindava, à une quinzaine
de milles au sud de Nosy Be. Son nom veut dire moustique… Mais on est
en saison sèche… Alors ça craint moins!
Enfin, dès qu'on soupçonne la présence des bestioles,
on sort quand même les moustiquaires et les tortillons au coucher du
soleil, à l'heure où les anophèles femelles vont boire
(et nous aussi d'ailleurs…).
C'est vrai que la malaria est un risque réel par ici. Ça nous
préoccupe bien un peu, mais enfin nous sommes plus souvent en mer que
dans les marais. Les moustiques y sont moins nombreux…
On essaie de se rassurer comme on peut… De toutes façons, nous
restons trop longtemps présents dans les zones à risque pour
prendre des traitements préventifs. Alors… Si ça doit
arriver, on se soignera…
Ces pays qui manquent de tout, semblent finalement plutôt bien équipés
pour soigner la malaria. Pour peu qu'on ait accès aux centres médicaux
et sans doute les moyens de payer les médicaments!
Mamoko est très escarpée et apparemment impénétrable.
Seul point de débarquement possible sur l'île: une plage, dans
une petite anse, devant un hameau. Une dizaine de cases et quelques pirogues.
Un couple d'énormes tortues terrestres musarde régulièrement
sur la plage. Elles sont l'attraction locale…
A deux ou trois milles, en face, sur la grande terre, quelques villages doivent
se cacher dans la mangrove le long de la côte, mais on n'en voit pas
trace.
Seuls témoins de présence humaine: quelques pirogues passent
régulièrement et s'arrêtent parfois pour nous proposer
crabes et poissons.
Si elles n'ont rien à vendre, elles s'arrêtent quand même,
histoire de voir si nous n'aurions pas quelques récipients vides à donner:
bouteilles plastique, bocaux, boites de conserve ouvertes… Ou bien du
fil à pêche… Ou des hameçons…ou de l'aspirine.
Sur Getaway on ne jette plus un seul contenant en verre, plastique ou métal.
Ici tout est récupéré!
A part les récipients vides, nous essayons de réserver nos autres
trésors pour le troc. On tente d'en obtenir quelques fruits ou poissons,
mais ça ne marche pas vraiment et le plus souvent tout part en cadeaux.
Il faut dire qu'un beau crabe coûte ici la bagatelle de 50 centimes
d'euro!
Nos visiteurs les plus hardis s'aventurent à demander des tee-shirts… Nous
avons alors été surpris de voir le regard critique qu'ils portaient
sur ceux, usagés mais plutôt en bon état, que nous leur
proposions. La moindre trace de tache, le plus minuscule trou d'épingle,
disqualifiait l'offre. Pourtant ça valait largement les guenilles déchirées
qu'ils portaient généralement sur eux à ce moment là!
En fait, nous avons appris plus tard que les tee-shirts les intéressaient
surtout pour aller les revendre au marché. Il fallait donc qu'ils aient
l'aspect du neuf!!!
Pour améliorer l'ordinaire quand les provisions diminuent, que les
pirogues ne proposent rien et que notre propre pêche ne rapporte pas,
on va récolter des huîtres sauvages sur un rocher proche. Minuscules
huîtres récoltées au burin et au marteau, mais EXCELLENTES… Une
fois ouvertes! C'est un plateau de fruits de mer apprécié.
Alain, fin pêcheur du crépuscule, nous rapporte régulièrement un filet de barracuda tout frais et déjà paré… Voilà comment Gérard a trouvé une solution pour pallier sa répugnance naturelle à la pêche (et au nettoyage du produit). Il faut quand même ne pas oublier de prévoir crème fraîche,citron, carottes, poireaux et courgettes pour les papillotes… Mais pas d'inquiétude, le marché de Nosy Be a déjà pourvu à ça...
Sur la côte, à deux milles de Mamoko, on trouve une autre "attraction": une cascade qui se jette dans la mer, cachée au fond d'une petite crique. L'intérêt de la visite est pour le lavage du petit linge de la semaine, la douche (en maillot tout de même, il y a des voisins…) et éventuellement le ravitaillement des réserves d'eau douce du bateau si le capitaine a le courage de bidonner...
Maisdouquelletiredoncsonnomcellela?
Au cours de la guerre russo-japonaise (1904-1905), le tsar de toutes les
Russies envoie une escadre de vaisseaux de guerre dans la région.
En panne de charbon, ils se planquent dans cette grande baie en attente
de ravitaillement… Quand le charbon arrive enfin, beaucoup de marins
sont malades et l'escadre remet en route en les laissant derrière
elle sur un navire . A la fin du conflit, ce contingent de marins est complètement
oublié. Ignorant la paix survenue entre temps, ils mourront tous
là, du paludisme et de fièvres diverses.
Il reste que cette vaste baie est très belle, très fermée
et donc bien protégée de la mer du large. Tout autour, des villages
sont installés dans la mangrove mais comme d'habitude, on n'en voit
rien. Seules quelques pirogues… crabes… poissons… Mais on
vous a déjà raconté. Il y a aussi ce couple de jeunes
Sud africains qui habite seul, sur une presqu'île, au milieu de la baie.
Il y a deux ans qu'il s'est installé là où il semble
vivre de ses récoltes (dont on peut acheter quelques légumes
quand c'est le bon moment…). Mais enfin, la solitude à ce point… Même à deux… On
se demande un peu ce qui les a amenés là… C'est promis,
je vais travailler mon accent Sud africain et la prochaine fois, je leur demanderai…
On parle beaucoup de solitude jusqu'ici, mais enfin, si on veut à tout prix voir un peu monde, c'est possible aussi! Par exemple à:
C'est une petite île située à un mille de la côte ouest de Nosy Be. Quasiment inhabitée par les malgaches, on n'y trouve que deux ou trois maisons d' hôtes ou hôtels de plage: un resort italien, une maison d'hôtes Sud africaine et un hôtel français: "Sakatia Passion".
Ce dernier organise tous les dimanches un déjeuner autour d'un buffet servi à volonté. Le décor est simple et de bon goût, la plage comme sur les cartes postales, avec cocotiers et palmiers nonchalamment penchés, bruissant dans les alizés.
Un orchestre
de musiciens locaux alterne les tubes modernes, les airs malgaches traditionnels
et la musique française éternelle genre "la
vie en rose"…
Le prix est très élevé pour Madagascar et les plats assez
irréguliers, mais c'est rigolo de re-vivre de temps en temps au milieu
des touristes "normaux".
Pour continuer dans le genre carte postale, allons maintenant à
"La petite terre": une île minuscule et inhabitée,
située à sept milles au sud de Nosy Be (sur la route de Mamoko).
Son intérêt: un superbe plateau corallien qui déborde
largement sa côte Sud Est, dans des eaux très claires. C'est
assez rare par ici et c'est devenu un parc naturel dont on tente de réglementer
l'accès.
Aucune installation sur l'île; ni hébergement ni commerce. Mais
c'est quand même trop tard pour Robinson… De nombreux bateaux
de touristes, de la vedette rapide au catamaran de croisière, amènent
ici les visiteurs depuis Nosy Be, pour y mouiller quelques heures, bronzer
sur la superbe plage (qui n'est plus si déserte que ça…)
et snorkeler au dessus des coraux, parmi les poissons multicolores et les
tortues marines.
Les coraux sont parmi les plus beaux que nous ayons vus depuis le Pacifique.
Ils ont dû souffrir d'El Nino eux aussi, mais ils ont l'air de se refaire
une santé. Souhaitons leur longue vie.
Depuis maintenant quatre mois que nous sommes ici, nous avons un peu épuisé les
mouillages "très" proches de Nosy Bé. C'est alors
que nos amis de "Tchokdi", Alain et Zakia, nous proposent une petite
excursion vers le sud avec l'objectif de remonter la rivière Loza jusqu'à Antsohihy.
Il paraît que c'est très beau et peu fréquenté par
les voiliers…
Sitôt dit, bientôt fait… Et après quelques approvisionnements
supplémentaires, nous voilà partis vers le Sud.
Avec quelques escales tout de même.
Encore assez proche de Hellville (trente cinq milles), c'est la "perle" des îles autour de Nosy Be. Iranja est en fait composée de deux îles dont une toute petite, séparées par un banc de sable très blanc qui découvre à marée basse. Comme l'eau qui baigne l'île est très claire et qu'il y a quelques coraux éparpillés sur les fonds de sable - suffisamment pour héberger des poissons multicolores - c'est une destination "tropiques magiques" très courue depuis Nosy Be. Moins que Tany Kely (c'est quand même beaucoup plus loin!), mais il y vient tout de même quatre ou cinq vedettes rapides par jour…
Il y a aussi un hôtel qui s'est construit sur la petite île,
bien caché sous les arbres près de la plage, très discret.
On n'en voit quasiment personne. Seulement quelques silhouettes noires qui
traversent le banc de sable à marée basse; ce sont les employés
qui rejoignent leurs habitations, toutes situées sur la plus grande île.
Tout ça ne fait pas la foule sur le lagon et même si on sait
bien qu'on n'est pas sur une île déserte, la solitude y est suffisante
pour permettre d'en rêver!
Le mouillage y est par contre trop exposé à la houle du large
et aux vents qui tournent, pour y passer la nuit. Nous n'y resterons donc
que quelques heures, le temps de déjeuner et de snorkeler un peu au
dessus des jolis poissons, avant de poursuivre vers Baramahamay, sept ou huit
milles plus loin.
C'est une embouchure de rivière assez étroite qui procure un excellent abri pour peu qu'on s'y enfonce d'un mille ou deux.
La région est vierge de toute route ou piste et on n'y accède qu'en bateau. Les boutres du coin qui vont à Nosy Be pour le ravitaillement et la vente de la production locale, mettent une douzaine d'heures pour faire le trajet. Comme ils ne disposent que de leur voile et de perches, ils tirent le meilleur parti possible des vents thermiques qui dominent le long de la côte. Cela se traduit par un départ vers 3 heures du matin avec l'espoir d'arriver à Hellville en milieu d'après midi.
Pour notre part, nous sommes mieux équipés mais aussi plus
bruyants…
Enfin, sitôt l'ancre mouillée et le moteur arrêté c'est
calme et volupté… Silence total…
Deux petits villages au bord de l'eau sous les cocotiers et les ravenala*.
Quelques pirogues s'approchent pour nous proposer leurs produits. On achète
du miel local sauvage et bien goûtu, des crabes…
Le paradis...
Le lendemain matin, les hommes vont faire un tour à terre en annexe.
A l'écart d'un village, un groupe familial construit des pirogues.
Il parait qu'il tient aussi un petit stock d'épicerie, alors ils vont
voir…
Assez rapidement ils reviennent et se mettent à fouiller dans les caisses
de bricolage du bord…
- Qu'est ce qui se passe?
- Leur groupe électrogène est en panne... On va essayer de faire
quelque chose… Il y aussi le câble d'un lecteur de DVD à ressouder!
Une petite heure plus tard, une musique tonitruante se déclenche sur
notre paradis!!! Les hommes reviennent au bateau, l'air bizarre… Et
tout à coup je comprends:
- Mais Bon sang de B…… pourquoi vous leur avez réparé leur
groupe?
- Ben… C'est pas que le groupe… On a aussi réparé les
grosses baffles de la case qui sert de boutique… On pensait que c'était
juste pour leur vidéo du soir… On n'a pas pensé qu'ils
mettraient de la musique aussi fort!
- Misère! Bon ben les mecs, vous aurez dorénavant INTERDICTION
de toucher aux installations électriques défectueuses des villages
autour des mouillages… D'accord?
- Ouais ouais...
Le lendemain, le bruit ne nous gênera plus car nos copains nous emmènent en ballade, pour remonter la rivière en annexe et accéder à un village perdu dans la brousse, qu'ils ont découvert à leur dernier passage par ici.
Il faut savoir que Alain et Zakia sont curieux, marcheurs, découvreurs, aventureux… Bref: tout ce que nous ne sommes pas trop. Ils débarquent, partent au hasard, cherchent des chemins, découvrent des villages paumés... Aujourd'hui, nous allons profiter de leur expérience.
Nous embarquons avec le flot tous les quatre dans une annexe, pour découvrir pendant une heure la rivière tropicale: verdure, mangrove… Crocodiles??? Bien cachés alors…
Enfin, les fonds remontent et il faut débarquer dans la vase molle
pour continuer à pied. Nous pataugeons un bon moment pour remonter
l'annexe sur la rive (grâce à ses roues, indispensables ici)
et la mettre à l'abri de la marée qui va continuer à monter.
L'opération terminée, nous sommes chaussés de bottes
de boue qui nous remontent jusqu'aux genoux.
"
On va pouvoir se laver un peu plus loin... On va traverser un ruisseau
dans dix minutes." nous rassure Alain devant nos airs de touristes, ahuris à l'idée
de marcher avec ces chaussettes de vase chuintant dans nos "crocs".
Nous sortons rapidement du couvert des arbres qui longe la rivière
pour marcher sous le soleil, dans la savane qui recouvre des collines ravinées… Une
végétation un peu plus dense se développe dans les creux
de terrain, mais ailleurs tout est très sec, aride, latérite
rouge sang...
Le soleil tape, haut et fort… Pas d'ombre, pas de vent.
"
Mais qu'est ce que je suis venue f… dans cette galère?" pense
Anyvonne, mauvaise marcheuse sous le soleil…
Ca monte, ça descend… Encore et encore…
- Dis maman, c'est encore loin la prochaine ville?
- Non non, juste derrière la colline, là bas… (ils disent
tous la même chose les parents)
Et plusieurs fois comme ça, avant qu'on finisse tout de même
par arriver!
Le village surgit au détour d'un talus: quelques cases "pur végétal",
parmi lesquelles notre arrivée provoque une certaine surprise.
Terre, poussière, cases de bois surélevées, toits en
ravenala, poules qui courent partout.
Les "anciens" sont regroupés à l'ombre. On les salue
avant de s'approcher doucement d'un groupe de femmes et d'enfants qui sont
les seules
personnes visiblement actives.
Elles pilent quelque chose dans de grands mortiers... Café? Poivre?
Difficile de dialoguer, elles ne parlent pas français.
Nous nous asseyons sur nos talons, à l'ombre, attendons et regardons… Enfin
non, "nous nous laissons regarder" serait plus juste.
Au fil des milles et des ans, on a compris doucement qu'on n'est pas là que
pour voir (et témoigner éventuellement) mais aussi et surtout
pour être vus.
Combien d'étrangers passent ici chaque année? On ne sait pas.
Sans route d'accès, il faut trouver et vouloir. La piste la plus proche
est à plus d'une journée de marche.
On pose quelques question ici et là… Pas toujours comprises… La
quantité de paroles a peu d'importance et le silence n'est pas absence
de communication.
Le tout est de se sentir assez bien pour ne rien dire et accepter d'être
observés. On avait déjà ressenti ça dans les îles
perdues à l'extrême Est de l'Indonésie, quand les enfants
venaient en pirogue s'accrocher au Getaway et restaient là une heure à nous
regarder sans rien dire. C'est un peu dur au début.
On vient chez eux, qui n'ont rien. Ni électricité, ni images,
ni livres… Si peu d'informations.
On est donc forcément des attractions… Des animaux étranges
aux yeux clairs… Et à la peau blanche en plus!
On émoustille les enfants et on fait même parfois peur aux bébés
qui n'ont encore jamais vu ces trucs incolores bizarres.
En fait il n'y a que des anciens, des femmes et des fillettes présents
dans le village. Plus tard seulement, sur le chemin du retour, nous verrons
des garçons occupés à pêcher le long de la rivière.
Trois mamans et leurs filles nous prennent en main, lorsque l'une d'elles
Comprend qu'on voudrait voir l'école.
Hélas, le maître est absent. Alain nous explique que lorsqu'ils
sont venus ici la première fois, le maître d'école n'avait
pas été payé depuis plus de six mois... Heureusement,
il était nourri par le village… Serait il parti définitivement?
Non non, ce sont seulement des vacances et il revient dans cinq jours,
pour la rentrée… Nous sommes juste un peu trop tôt.
On nous ouvre quand même l'école: Une grande case, toujours
pur végétal, dans laquelle une cloison délimite deux
pièces meublées de quelques tables et ornées d'affiches
pédagogiques fatiguées sur les cycles de la nature, la vie,
l'hygiène…
Un tableau noir où sont tracés, d'une belle écriture
d'instituteur, quelques mots français…
Tout le monde s'assoit, les fillettes nous regardent intensément. Seule
une maman parle un peu français. On fait une distribution de bonbons. Ça
déride tout le monde.
On offre ensuite quelques petits cahiers d'écolier et des crayons noirs.
On en a juste assez pour les enfants présents. Le plaisir est évident… Différent
de celui des bonbons!
Il faudrait venir avec 20kg de matériel scolaire de base… Ardoises,
craies, stylos, peinture à tableau? Que sais je?
On se dit qu'on reviendra, apportera, aidera…
Est ce vrai? Pas sûr… Dans huit jours tout cela sera un souvenir… Attendrissant
certes, mais un souvenir quand même. Mais comment témoigner efficacement,
aider vraiment...?
La seule chose évidente c'est que notre visite leur fait plaisir, et qu'ils vont la commenter longtemps.
Alain fait des photos portraits… Il apportera les tirages la prochaine fois…
80 milles plus loin, juste écourtés par une escale d'une journée dans la baie de Bérangomaina, le temps d'acheter crabes et oignons verts aux piroguiers et de faire un tour dans la savane, nous mouillons en fin d'après midi devant la petite ville d'Analalava, à l'embouchure de la rivière Loza.
Analalava a été une station coloniale française "importante".
Nos cartes marines qui datent du 19ème siècle citent la maison
du gouverneur, le camp des tirailleurs, les entrepôts du port…
Comme nous souhaitons débarquer demain pour visiter la "ville",
nous passerons la nuit à ce mouillage, malgré la houle qui entre
et nous fait rouler désagréablement.
Le lendemain, deux objectifs orientent accessoirement notre visite matinale: aller au marché pour quelques provisions et trouver un endroit où boire un café.
Le long de l'unique rue du bourg qui court loin, tout droit dans le sable,
parallèle à la côte, on se renseigne, on demande… Pour
un saut en avant… Puis re-demande pour un nouveau saut de puce...
- Non, pas là, plus loin oui…
- Loin? Non… Juste par là…
Qui peut dire vraiment à quoi correspond "loin" dans la tête
de nos interlocuteurs, qui ont toute la journée pour parcourir l'unique
rue?
Tu marches… C'est pas loin… Tu vas trouver… Pourquoi les
vahaza sont ils toujours si affairés, si pressés?
Et oui, pour le marché c'est assez simple et on trouve rapidement l'endroit où se cachent une dizaine d'étals qui exposent quelques petits tas bien rangés de tomates, oignons, carottes et pommes de terre… Même quelques mangues… De papaye, point…
Ce n'est pas l'abondance… Tant pis, on tiendra bien trois jours jusqu'au
marché d'Antsohihy…
"
Vous verrez, c'est beaucoup plus grand et on y trouve de tout" nous rassure
Zakia.
Pour le café, l'enquête est plus difficile. Et pas seulement
parce que c'est plus loin…
Arrêt dans une case qui pourrait être un bistro-épicerie… "Non,
ici pas de café: mais à l'hôtel là bas, plus loin
(nouvelle explication)"…
Plusieurs fois comme ça…
Enfin, le miracle s'accomplit: Un vrai petit hôtel en bois avec terrasse
surélevée, parquetée, cirée, ombragée… Meublée
de plantes vertes et de tables avec nappes… L'hôtesse nous accueille
en souriant.
- Du café? Oui, je peux vous en faire… Mais il faut un peu de
temps.
- Du temps? Combien de temps?
- Oh ben… Faut allumer du feu, tout ça… Chauffer l'eau,
moudre le café…
- Une demi heure ça ira?
- Oui, une demi heure ça suffira.
- Bon, alors en attendant on va faire un petit tour et on revient. On peut
laisser les paniers là? Ça ne vous dérange pas?
- Bien sûr que vous pouvez. A tout à l'heure.
Pour occuper l' attente on continue à remonter la rue de sable jusqu'à la
limite du bourg.
Tout du long s'alignent des maisons coloniales qui rêvent d'un passé meilleur
et abritent partout les même commerces nonchalants. Ici, plutôt
des pièces de vélos; là, c'est plus des bassines en plastique… Mais
dans tous les cas, il y a une foule d'autres choses aussi...
Au milieu, une grande place arbore un kiosque à musique : se souvient
il de ce pour quoi il a été construit?
De ci de là, au centre de cuvettes de maçonnerie crevassées,
des tuyaux sortent du sol, rappelant qu'un jour, ici, il y a eu de l'eau courante
et des robinets pour l'obtenir.
C'est un peu comme à Helville, mais sans qu'un quelconque projet de
réhabilitation ait encore vu le jour. Sans l'animation aussi. Ici tout
est torpeur et progression lente. La rue s'animera juste un peu vers 11 heures,
quand les écoliers l'envahiront à la sortie des classes.
Le retour au café est bienvenu. Le soleil tape dur, il n'y a pas de
vent et on est presque fatigués…
Et puis on est un peu moroses aussi, comme toujours quand on sent autour
de nous les choses se déliter, stagner…
Ce café, si tant attendu et finalement fort bon, sonne l'heure de
la fin de notre visite d'Analalava.
Sitôt revenus au bateau, nous quittons le mouillage rouleur pour nous
enfoncer un peu dans la rivière et nous mettre à l'abri du vent
qui s'est réveillé et souffle en rafale.
Nous allons remonter la Loza sur quelques 35 milles, jusqu'à la ville
d'Antsohihy. Nous prévoyons deux étapes parce qu'on ne peut
vraiment naviguer qu'avec le courant de marée et seulement le jour.
On doit aussi traverser deux zones peu profondes qu'il faut passer à marée
haute. Il faut donc calculer ses horaires…
Avec l'eau qui coule à 3 ou 4 nœuds, quand c'est dans le bon
sens, ça va vite…
Devant nous la berge défile, rouge, ourlée de mangrove verte.
Les paysages qui nous accompagnent le long des premiers milles de la Loza
nous ramènent des années en arrière, en Turquie, au Venezuela…
Les même collines jaunes et rouges parsemées de taches vertes,
se succèdent, formant le premier plan d'un décor dont le fond
est assuré par les hauts plateaux qui se distinguent au loin, dans
la brume de chaleur.
Et la qualité du silence!
Hors de Nosy Be, il y a peu de bruits de moteurs le long de la côte
malgache où seules les voiles, les rames et le courant font avancer
les pirogues et les boutres. Pas d'excès, pas de fureur, pas de vitesse:
tout le monde prend son temps.
De toutes façons, on ne peut pas lutter contre les courants de marée… Alors
il faut aller avec.
Un peu avant Antsohihy, trois jeunes gens nous hèlent depuis la rive.
Ils font du bateau stop et on les embarque, avec leurs sacs de provisions
et leur poule vivante aux pattes entravées.
Ils sont gentils et polis, mais en français ils ne semblent connaître
que les mots "merchi, gauche et droite". Le dialogue se traîne… Utile
quand même, car nous n'avons plus de carte pour naviguer ici et ils
nous indiquent les bras de rivières à prendre quand se présente
une bifurcation…
Le skipper est tendu; on évite les bancs de vase un peu au pif… La dérive a touché deux fois le fond... Elle nous sert de fusible!
Au détour d'un méandre, on finit tout de même par atteindre le but: Un peu à l'écart de la ville, une cale de débarquement et un quai de déchargement pour barges et boutres, près desquels on mouille avant de s'envaser complètement..
Le jour suivant est jour de courses et de découverte du centre ville, à 500 mètres du mouillage. Des rues bourdonnantes, bordées d'échoppes colorées proposent mille choses variées, exposées pêle-mêle dans un volume ridicule: vêtements, plastiques, coutellerie, tongs, tissus, produits de nettoyage ou de beauté.
Le marché couvert est moins bien achalandé que celui d'Hellville mais nous y trouverons quand même notre bonheur en produits frais. On s'aventurera même à acheter du chevreau, sans avoir trop à se battre contre les mouches…
A ce propos précisons prosaïquement que, bien qu'ayant acheté systématiquement
sa viande dans des supermarchés équipés en réfrigération,
tout l'équipage de Getaway a souffert récemment d'une turista
carabinée.
Nous avions sous estimé les effets des coupures répétitives
d'électricité et de la faiblesse des groupes électrogènes,
sur la chaîne du froid et la conservation de la viande.
Des habitués du coin nous ont fait intelligemment remarquer que la
viande du marché, même exposée à 27° et aux
mouches, n'a jamais vu de frigo. Elle est donc fraîche et vérifiée
tous les matins par les services vétérinaires.
Dorénavant, nous achetons donc au marché et si possible tôt
le matin!
Mais il est maintenant 10 heures, le moment de notre café du matin!
Et pas de bistrots à l'horizon… On cherche, on se renseigne… Les
hôtels-restau ne servent pas de café: juste Cocas et Fantas.
Tout de même, on nous indique un spécialiste de la question,
juste dans le coin là bas en face, à la limite du marché.
Dans une stalle carrée en pur ciment brut de 2,50 mètres de
côté, deux tables et quatre bancs se serrent contre un petit
feu de charbon de bois établi sur un gril traditionnel en tôle.
Le café y est maintenu au chaud dans sa bouilloire et on peut l'accompagner
de beignets de riz.
Trrrrrèès bon! Nous y reviendrons…
Au mouillage, Henriette, une voisine malgache, nous hèle hardiment
en passant près des bateaux, depuis sa pirogue.
- J'habite tout près, là où vous voyez des cocotiers.
Venez me voir, j'aime bien parler…
Tout cela énoncé dans un français très correct
incite Alain et Zakia à la visite qu'ils nous racontent:
Malgache
bon teint, la cinquantaine prononcée, la dame vit seule,
avec sa petite fille qui va à l'école à Antsohihy sur
l'autre rive. Elle venait d'ailleurs juste de la débarquer quand elle
nous a interpellés. Autour de sa case, des fleurs et une végétation
maîtrisée, propre.
Près de la rivière, elle montre fièrement les bassins
de pisciculture qu'elle a creusés et maçonnés elle même,
toute seule… Elle y élève des tilapias. (C'est une sorte
de carpe qui est le poisson de consommation le plus répandu en Afrique.)
Ses enfants? Bien sûr qu'elle en a. Un est établi à Londres,
un autres aux Comores, un autre encore fait ses études à l'université au
Caire… D'autres encore… Pas de mention du ou des papas…
Sacrée bonne femme!
Mais nous même ne souhaitons pas nous installer et après quatre jours passés ici, nous remettons en route pour rentrer à Nosy Be. Ce retour prendra une petite semaine ressemblant fort à celle dépensée pour venir; on vous en fera grâce car il ne s'est rien passé de remarquable.
Mais c'est pas tout ça, on n'arrête pas de vous parler d'îles
minuscules et de bords de mer, alors que nous sommes à proximité d'un
quasi continent dont on ne dit mot de l'intérieur.
En fait, on n'en connaît rien et on aimerait bien, nous aussi aller
y jeter un œil.
Eh bien voilà, c'est décidé: Nous allons nous organiser une petite visite de la grande terre et nous vous raconterons ça dans le prochain numéro.
Toujours représentée à côté et à l'échelle du continent africain, elle est souvent perçue comme une "petite" île. Pourtant, longue de 1600km et large de 500km, elle est plus vaste que la France…
Si on la parcourt d'est en ouest, on rencontre d'abord une étroite bande de plaine côtière avant d'escalader le versant abrupt de hauts plateaux qui s'abaissent ensuite doucement vers l'Ouest, pour finir au bord du canal de Mozambique en une vaste plaine marécageuse où aboutissent les principaux fleuves. Exposée aux alizés de l'océan Indien, la côte orientale est beaucoup plus arrosée que son homologue occidentale.
Le peuplement de Madagascar s'est constitué par vagues successives:
négro-africaine, polynésienne, arabe, chinoise.
Aujourd'hui, la croissance de cette population est communément tenue
pour responsable des problèmes économiques de l'île. En
40 ans, elle a plus que doublé, pour atteindre officiellement 17 millions
d'individus (réellement sans doute plus de 20 millions). Trop et trop
vite pour l'état des capacités nourricières de l'île.
Pourtant, la tendance ne paraît pas devoir s'infléchir et peut être
doublera-t-elle encore avant vingt ans.
On compte 18 groupes ethniques malgaches
traditionnels, qui coexistent avec une minorité indo-pakistanaise (Karana), quelques chinois, européens
et comoriens.
Les karanas (0,5 % de la population) s'enrichissent dans le commerce et
y génèrent près de 15% du PIB. Ils possèdent l'essentiel
du patrimoine foncier de Nosy Be, depuis les immeubles de Hellville jusqu'aux
plantations d'Ylang ylang qui occupent une grande partie de l'île. Cela
ne leur attire pas que de la sympathie de la part de la population malgache.
Un antagonisme traditionnel oppose les habitants des hautes terres du centre
(les Mérinas) à ceux qui occupent les régions côtières
(majoritairement des Sakalavas au Nord).
Les premiers seraient issus d'une immigration indonésienne alors que
les seconds sont venus d'Afrique.
Traditionnellement plus aisés et instruits, car plus proches de la
capitale, les éleveurs des haut plateaux "dominent" ceux
des régions côtières, agricoles et plus pauvres.
La rivalité trouve ses origines dans l'effort d'unification de l'île,
au 19ème siècle, quand le roi Radame 1er, intégra par
la force les petits royaumes côtiers à son royaume merina installé à Tananarive.
Plus tard, la colonisation française n'arrangera pas les choses (1896-
1960). Après avoir d'abord signé un traité de protectorat
avec une reine Sakalava contre les Merina en 1846, les français s'appuieront
ensuite, pour consolider leurs positions, sur le pouvoir central merina; favorisant
ainsi la concentration d'écoles, hôpitaux et autres infrastructures
autour de la capitale, aux dépens des régions littorales.
En 1960 encore, au moment de l'indépendance malgache, le royaume Sakalava
de Nosy Be a souhaité faire sécession pour rester sous la tutelle
française.
Aujourd’hui, l'unité nous a semblé réalisée,
et cette "opposition" plateaux contre région côtières
ne nous a pas paru dépasser celle qui existe en France entre marseillais,
parisiens et bretons.
Si le pays retrouve son indépendance en 1960, la gestion coloniale
se poursuivra jusqu'en 1972, quand l'orientation social-révolutionnaire
du président Didier Ratsiraka provoquera le départ général
des français qui emportèrent alors avec eux beaucoup de savoir
faire technique.
C'est le début d'une période de confusion. La production des
principales exportations stagne, le système éducatif et les
infrastructures se dégradent jusqu'à presque disparaître.
En 1989, le président Ratsiraka se convertit au libéralisme économique. Le FMI, la Banque mondiale interviennent et les anciennes entreprises
publiques
sont privatisées. Ces signes "encourageants pour les observateurs
internationaux" n'apportent aucune réponse aux problèmes
les plus criants du pays: pauvreté, corruption, défaillance
chronique de l'Etat, mainmise d'une grande bourgeoisie sur les richesses nationales,…
Inflation, misère, scandales, gâchis amènent la crise
de 2002 et la chute de Ratsiraka qui s'exile en France.
Le nouveau président élu Marc Ravalomana accède au pouvoir.
Depuis, il tente de restructurer et faire fonctionner l'état, entreprend
la réhabilitation du réseau routier, détaxe certains
produits de grande nécessité, etc… Mais tout ça
prend beaucoup de temps et les mentalités ne se concentrent que lentement
sur la productivité.
L'affairisme reste très actif.
Un scandale local a éclaté récemment autour d'un séminaire organisé par le président au "profit" des chefs traditionnels du Sud. Dès l'intitulé du séminaire: "Leadership et gouvernement", on voit bien la patte des consultants anglo saxons et, dans le contexte, on s'interroge sur le bien fondé de l'opération; surtout quand pour participer à ce séminaire (et c'est le sujet du scandale) on a réquisitionné sans beaucoup de concertation les chefs dans leur lointaines tribus, les a longuement transportés sur les pistes dans des camions bâchés, puis abandonnés à eux même pour leur hébergement dans la capitale.
Pendant ce temps la dévaluation de la monnaie, l'inflation, la hausse du prix du carburant, provoquent une augmentation généralisée du coût de la vie et rendent celle ci de plus en plus difficile…