LA GAZETTE DE L'A.R.B
Anyvonne Restaurant Bar
 
La traversée Paimpol Madère - Le journal de bord
N°1 - 1 Juin 1998

 
Je vais vous enquiquiner une première et dernière fois avec les angoisses de la page blanche du pseudo écrivain que je suis. Je réalise qu'il y a un monde de passer des notes jetées en désordre journellement au journal un peu structuré auquel vous vous attendez un peu quand même. La lecture des notes du genre "journal intime" avec date et heure est d'un ennui profond. Je vais regrouper tout ça et classer autrement. Comme ça, si le chapitre technique ou sentimental vous ennuie, vous pourrez le sauter hardiment. Je ne vous épargnerai pas non plus l'émotion du départ en introduction.

Le départ
Organisation de la vie à bord
La route
La cuisine
Spectacles
Loisirs
La pèche
Arrivée

PONTON DE PAIMPOL LE JEUDI 21 MAI 1998
Après un déjeuner à la pizzeria (nous étions 20), embarquement de 15 unités de pains de 1 Kg faits spécialement pour nous par la boulangerie du port de Paimpol, façon "miche pour pêcheur d'Islande", qui doivent tenir vaillamment un mois dans les fonds (on en a encore mangé le 4 juin).
14 heures 30. Embarquement de l'équipage "Penn Ar Koul":
Gérard: Captain Gateway
Anyvonne: Chef de car
Alan: Quasi Froggy
Laurent dit Bubulle: Le mousse qui mousse
François: Scoot toujours
Bisous pleins d'émotions aux enfants qui restent à terre. Pensée émue pour ceux qui n'ont pas pu venir.
PASSAGE DE L'ECLUSE
Ceux qui ne veulent pas savoir ce que j'ai ressenti dans l'écluse peuvent passer aux paragraphes suivants.
J'ai ressenti une grosse angoisse qui annihile toute possibilité d'analyses ou pensées coérentes sur le coup, et un peu de culpabilité sûrement.
J'ai pu disséquer un peu tout ça le lendemain soir. Je crois avoir eu une pensée diffuse: "Qu'est ce que je fais là?, ou au moins: qu'est ce qui justifie tout ça?, n'est ce pas un peu vain?", et si tout ça "ne vaut pas la peine de laisser ceux qu'on aime pour aller faire tourner des ballons sur son nez".
Pas de regrets, non, mais une question que l'on m'a posée: comment en arrive-t-on là?
PREPARATION AU DEPART
Le départ est évidemment déjà un résultat en soi, l'aboutissement d'un an de préparation technique, administrative, logistique et psychologique.
Je vous narrerai les trois premières une autre fois peut-être, ou laisserai Gérard le faire.Pour ce qui est de la troisième, j'ai agi selon la technique que j'appellerai "la fermeture des portes à sens unique".
  • demande de départ en retraite en octobre 1997
  • mise en gestion locative de la maison en mars 1998
  • départ effectif en retraite en octobre 1998
  • déménagement et stockage en avril 1998
  • location de la maison et donc installation sur le bateau avant fin avril 1998 (voir numéro -1 de la gazette. Ndlr)
Chaque porte fermée, sans retour possible, a été génératrice d'angoisse que l'on analysée et évacuée au fur et à mesure, plus ou moins vite, et surtout certaines nuits sans sommeil.
Et bien, le 21 mai à 15 heures, toutes ces mini-boules se sont données rendez-vous dans ma gorge, reflétées dans les yeux des enfants (ou est-ce moi qui ai projeté mes sentiments?).
Heureusement que nous avons trois touristes, qui eux partent en vacances, sont heureux, veulent faire des milles (1 mille = 1852 mètres, bande d'ignorants...merci M. Larousse), "se faire le golfe de Gascogne", ils sont détendus et nous détendent.
A l'Arcouest, où j'ai donné rendez-vous à tout le monde, on passe trop loin. Je suis triste. Je donne un coup de corne de brume pour dire que je pense à eux, et on descend le Trieux.
ORGANISATION DE LA VIE A BORD
On décide de deux groupes de quart, un jeune "J", (François et Laurent) et un vétéran "V", (Alan et Anyvonne), vétéran s'entendant au-delà de 30 ans, précise Alan. Le capitaine est hors quart et "dérangeable" à merci.
22 24 26 28 mai 
23 25 27 31 mai 
0 h à 3 h 30 
3 h 30 à 6 h 30 
6 h 30 à 10 h 
10 h à 13 h 30 
13 h 30 à 17 h 
17 h à 20 h 30 
20 h 30 à 0 h 

 
LA ROUTE (voir la carte)
    Entre le 21 et le 23 mai on a un peu de vent de NW (noroît) pour sortir de la manche. Le 23 mai, le Nord/Nord-Est est enfin au rendez-vous, ce qui veut dire (pour les néophytes) que le vent nous pousse sur notre 3/4 arrière, donc que le bateau ne gîte pas, mais il roule d'un bord sur l'autre, et il fonce...tout ceci jusqu'au mardi 26 mai.Le vent forcit alors et passe à l'ouest, le bateau se met donc à gîter, et ceci jusqu'au samedi 30. La gîte nous complique passablement la vie à bord. J'ai eu vraiment l'impression d'être vraiment partie une fois passés les rails d'Ouessant (le rail est un chenal imposé au trafic maritime dans les parages de forte circulation, pour limiter les risques de collision).

    Le lundi 25, on est tous amarinés, on a "digéré" le départ et on a pris le rythme des quarts. (Gérard m'a sauvé la mise deux fois en prenant mes quarts en pleine nuit). Je suis un peu pistonnée...j'ai pu dormir 6 heures de suite, quel bonheur!!Maintenant on mange dans le carré , on est installés dans l'ambiance longue croisière avec alternance de sieste, casse-croûte, lecture, pêche, cuisine, repas, nettoyage et on recommence.
    A partir de mercredi, ces activités simples à terre sont devenues sportives. Tout glisse sur bâbord (bâbord: à gauche en regardant l'avant du bateau, tribord: à droite). Dès qu'on bouge un objet, il faut prévoir de le caler...Les placards de la cuisine étant à tribord, ils sont à ouvrir avec mille précautions pour ne pas voir tout jaillir ...le sel... la confiture...un verre ou autre. L'évier fait la moue pour se vider (la bonde est à droite) et la pompe à eau de mer pompe de l'air un coup sur deux et se désamorce. Mais qu'est ce qu'on est venus faire dans cette galère?.

LA CUISINE
    demande patience et temps, et on a faim tout le temps. Les préparations fraîches ont tenu jusqu'au dimanche 24. Le soir, François nous a fait une délicieuse quiche aux poireaux qui fera date dans les annales.
    Généralement à midi, on fait simple (salade de riz variées, coquillettes jambon etc...) mais le soir on se mijote quelque chose de chaud et consistant. Pou couronner tout ça: les camemberts LE PETIT "moulés à la louche" de plus en plus odoriférants et crémeux...ont été scellés dans des ZIPLOC et planqués dans les fonds...Quand on les sort, c'est un tollé. On a jeté le dernier morceau hier mardi 2 juin en cachette d'Alan qui ne voulait pas s'en séparer. Les desserts ne sont pas très variés: crème au chocolat, riz au lait, fruits. Une nuit, on a créé la crêpe "Penn Ar Koul": une banane roulée dans une crêpe (Anyvonne), et la "Penn Ar Koul améliorée": crêpe + nutella + banane (Alan). Les quarts de nuit voient défiler: Pour les vétérans; soupes en pack, barres de céréales, fruits secs. Pour les jeunes: crêpes, nutella. Pour tout le monde: thé, tisane.
SPECTACLES
    Méduses à voile, de la taille d'une assiette, grées d'une demi voile spérique...et des bestioles baptisées par nous "pouce-pieds" constituées d'une boule blanche et de "pieds" autour (des anatifes?).
    Et les dauphins qui ont joué avec notre étrave le jour. Seuls François et Laurent ont eu droit au ballet nocturne...complètement magique. Il faut savoir que l'eau en mouvements, la nuit, éclate en bulles irisées: le plancton qu'elle contient a la propriété de diffuser les rayons colorés. Le ballet subaquatique des dauphins était rendu visible grâce au plancton, alors que de jour, on ne peut que les deviner sous l'eau. François me les a décrits comme des torpilles phosphorescentes...fonçant de front, par 4, à l'arrière du bateau. Laurent les a confondus au début avec le sillage du bateau.
    Question oiseaux, nous avons été accompagnés par des fous de bassan en Manche...et en pleine mer par 2 ou 3 oiseaux du genre sterne.
LOISIRS
Laurent avale un bouquin par jour...à peu près. Alan lit aussi et écrit son "journal de bord pour ses enfants". François lit des revues nautiques (pour changer), et en particulier le numéro spécial "le gros temps, bien s'y préparer"...Il s'y prépare...
Gérard a repris récemment son cours de portugais ...il souffre visiblement, grogne...dit n'avoir rien retenu et regrette l'espagnol...plus rigolo...Il nous enseigne "una cerveja por favor" (une bière s'il vous plaît), ça suffira pour Madère.
Quant à moi: lecture et écriture...et aussi couture du pavillon de croisière portugais (rouge et vert + broderie par dessus) car nous n'en avons point. Je brode donc, bien calée à la gîte (donc sur bâbord) dans le carré: imaginez vous assis dans un rocking-chair, avec une vue imprenable sur la mer par le hublot de coque. Celui-ci se remplit régulièrement d'eau bleu piscine. On s'attendrait presque à voir apparaître un poisson, comme dans un aquarium.
C'est la première fois que nous avons l'impression d'être comme dans un "bateau-promenade". On lit, on mange, on vit quoi, à l'intérieur, sans être malade.
LA PECHE
    Laurent nous a remonté des maquereaux dès vendredi. Il n'aime pas trop les manger...alors il s'en sert pour appâter...et il en pêche d'autres...Le cercle infernal. Alors je prépare des rillettes pour lui prouver que c'est bon. Tout le monde est content. (voir la recette à la rubrique "questions des lecteurs", Ndlr).
    Apotéose le 30 au soir: on a installé une canne de pêche au gros sur l'arrière...avec appréhension. On a un peu peur d'attraper une bête de 6 mètres et 200 Kilos (description du livre). François nous sort une bonite de 2 ou 3 kilos...qu'Alan tue "façon matador" d'un coup de couteau entre les deux yeux, et que Gérard veut absolument achever d'un coup de manivelle de winch (il rate son coup). Ca crie, l'excitation est à son comble!. Elle finira en cocotte suivant une recette que Marine m'a donnée avant de partir. DE-LI-CIEUX...(chers lecteurs, vous devriez avoir la recette dans le prochain numéro, Ndlr).
ARRIVEE
    A 7 heures dimanche 31 au matin, François et Gérard aperçoivent enfin la lumière du phare de Porto-Santo. Emerveillement et grands mercis au seigneur GPS qui a fait le point depuis 10 jours et nous a guidés là où on voulait. Toutes les relations de voyage en voilier parlent du doute quant à la précision de l'atterrissage, aussi quant à 9 heures, on aperçoit de gros nuages sur l'eau, à droite de la lumière du phare...qui s'avèrent être une montagne...on se prend pour Christophe Colomb, en 1418, quand il l'a découverte, un an avant Madère (pour la petite histoire: il a séjourné assez longtemps à Porto Santo pour épouser la fille du 1er gouverneur).
    On est tous assez heureux de voir la terre. A son réveil, Alan déclare doctement que le jeu est faussé car notre précision d'atterrissage est due à des instruments modernes sophistiqués. Ah, le charme du sextant...la trouille de l'erreur...ça devait être quelque chose! Disons que maintenant nous avons l'émotion mais moins la trouille.
    Or donc, vers 9h30, Porto Santo, montagne volcanique pelée, se détache petit à petit. Les pentes abruptes, grises de loin, se révèlent peu à peu ocres...marron clair...rouge foncé, et même avec un soupçon de vert...
    Nous contournons la pointe sud-est de l'île qui porte le phare et mouillons dans le port à 10h50. Gérard, fier, nous rappelle avoir prévu notre arrivée entre 10h30 et 11 heures ce matin. Vive le capitaine!